Pour cette deuxième « carte postale du Portugal », je vous emmène à l’épicerie principale d’Almoçageme, celle qui est située près de la place de l’église. Comme je vous le racontais la semaine dernière, ce village proche de Colares, pas loin de Sintra, offre dans un périmètre très retreint tout le nécessaire alimentaire : un marchand de poulets élevés dans la région, un mini-marché aux poissons dont l’étal vient à peine de quitter les flots de l’Atlantique tout proche, une boucherie pittoresque dont je vous parlerai une prochaine fois, et une épicerie tout à fait épatante. D’abord, j’y ai trouvé beaucoup de denrées biologiques, et notamment des produits sans gluten et sans laitages qui m’ont permis de poursuivre mon régime habituel, ce qui est généralement compliqué en vacances. J’y ai aussi trouvé un pain de froment – car ma famille mange autrement que moi - dont mes enfants m’ont dit qu’ils n’en avaient jamais mangé d’aussi bon de leur vie. Pour 70 centimes, je sortais nanti d’un bon kilo de mie un peu grise, moelleuse sans être spongieuse, entourée d’une croûte pas trop cuite mais craquante à souhait, et dont la fraîcheur restait intacte plusieurs jours hors frigo : qui dit mieux ? De toute évidence, les boulangers portugais possèdent encore un savoir-faire qui se raréfie chez nous. Dans cette épicerie-boulangerie, il y avait également un comptoir proposant quelques charcuteries artisanales et des fromages du cru, d’ailleurs crus pour la plupart. Je ne jurerais pas que les normes d’hygiène européennes étaient impeccablement respectées, mais qu’est-ce qu’on s’en fiche quand c’est bon et que ça fleure bon le terroir authentique !
Mais le grand atout de ce magasin, c’est son étalage extérieur de fruits et de légumes : quel feu d’artifice de couleurs et de saveurs ! Franchement, je n’ai jamais vu une telle diversité rassemblée sur une si petite surface. Jamais vu autant de variétés, locales ou plus exotiques, d’aliments végétaux à l’état brut. A faire rougir les épiceries les plus fines de Bruxelles ou Paris ! Et à les faires pâlir en ce qui concerne les prix : des cerises ou des noix à 2 euros le kilo, ça vous dit ? Une caisse de tomates ou de courgettes pour quelques centimes de plus, cela vous tente ? Il faudra quand même qu’on m’explique : si je ne m’abuse, l’Europe a été construite pour effacer les frontières douanières, intégrer les marchés et gommer les différences de prix. Alors, comment se fait-il qu’une épicerie portugaise peut proposer des produits 4 à 5 fois moins chers que chez nous ? Je veux bien que des cerises ou des noix soient plus abordables sous des cieux plus propices, mais comment se fait-il que la différence se chiffre en centaines de pourcents ? Même les oranges. Le matin, je m’en revenais de l’épicerie d’Almoçageme avec mon kilo d’oranges à jus bio vendu 75 centimes. Dans un supermarché de Bruxelles, vous ne les trouverez pas à moins de 2 euros du kilo. Pourquoi cet écart de 166 % ? Attention, je suis volontiers locavore et je trouve logique que les oranges du Portugal soient moins onéreuses au Portugal. Ce qui l’est beaucoup moins, c’est que le coût d’un produit se multiplie par lui-même, et même davantage, entre un lieu de production et un lieu de consommation européens. Ça veut clairement dire qu’entre la fourche et la fourchette, les intermédiaires du commerce alimentaire plument à la fois les agriculteurs et les pigeons-cochons de payants : vive les circuits courts !
A propos de cochon, quittons l’épicerie pour entrer dans un des nombreux bistrots d’Amolçageme. On n’y boit pas seulement des bières portugaises intéressantes (selon mes proches) et un Vino Verde rafraîchissant en diable (ça, c’est un produit cru dont je n’allais pas me priver), on y mange aussi de la « petite restauration » qui a ravi mes papilles de paléogastronome. En tête de carte, bien sûr, les sardines grillées sur leur lit de laitue. Pour 5 €, le plein de protéines, d’oméga 3 et de pur plaisir n’est pas très cher payé. J‘ai adoré aussi les moules – autre chose que les chewing-gums de Zeelande – et la salade de poulpe qui vous cale tout en légèreté. Mais j’octroie mon macaron perso à ce qu’ils appellent là-bas des « caricolas » - caricoles en belge -, c’est-à-dire des escargots de mer préparés dans un bouillon de légumes avec quelques bouts de lard. Ils les servent à la louche dans une énorme assiette, ce qui équivaut certainement à des centaines de gastéropodes parfois toujours vivants. Cela vous choque ? Holà, n’oubliez pas qu’un repas d’huîtres se déguste aussi avant leur trépas ! Il m’a fallu une bonne mi-temps de je ne sais plus quel match du Mundial pour arriver presqu’au bout de cette platée de caricoles, et encore avec l’aide de deux de mes filles qui adorent ça aussi. Quitte à heurter les belles âmes végétariennes, je conclus cette deuxième carte postale en rappelant l’orientation paléolithique de Néosanté : dans ses articles sur la nutrition, notre spécialiste Yves Patte met régulièrement l’accent sur l’importance des bonnes graisses et protéines animales tels que nos ancêtres de la préhistoire en prélevaient à l’époque dans la nature. Pour ce faire, pas besoin d’écumer les mers et d’épuiser la terre par élevage de gros bétail. La preuve par les sardines, les moules, les poulpes ou les délicieuses « caricolas ». La preuve aussi par les insectes, dont les richesses nutritionnelles constituent certainement l’avenir de la diététique naturelle. Je n’en ai pas mangé au Portugal, mais c’est un sujet qu’on abordera un de ces quatre dans notre mensuel. La semaine prochaine, je poursuis mon hommage aux habitudes alimentaires d’Almoçageme en vous emmenant faire un petit tour sur le marché hebdomadaire et en évoquant quelques personnages rencontrés dans le village. Vous verrez, ces quelques beaux souvenirs de vacances auront aussi valeur de belles leçons de santé !
Yves Rasir
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