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Néosanté hebdo
mercredi 05 mars 2014

Non à la logique biocidaire !

portrait de Yves Rasir Mea culpa.  La semaine dernière, je vous ai envoyé une infolettre enflammée que j’avais intitulée « Non à la dictature biocidaire ! »  J’y relayais l’information  selon laquelle le viticulteur  français Emmanuel Giboulot est traîné en justice   pour avoir refusé de traiter  sa vigne avec un insecticide.  Il est passé le 24 février devant le tribunal correctionnel de Dijon et le jugement sera rendu le 7 avril : il risque une lourde amende,  et peut-être même une peine de prison s’il persiste dans son refus de pulvériser son vignoble.  Si vous n’êtes pas au courant du scandale, je vous invite à  surfer sur internet et à vous connecter au vaste mouvement de solidarité initié par l’Institut  pour la Protection de la Santé Naturelle (IPSN). Ce dernier a notamment lancé une campagne de pétitions qui a recueilli  plus de 500.000 signatures !

J’ai moi-même  participé à cet élan de sympathie et je me suis fendu, dans la foulée, de ma newsletter vengeresse où j’y exprimais toute mon indignation qu’un viticulteur bio soit obligé de polluer sa terre avec de redoutables substances chimiques. Le hic, c’est que j’ai été un peu vite en besogne et que je me suis encore fait piéger par la manie de l’IPSN  de travestir la réalité.  Pour susciter les réactions citoyennes, cet organisme a en effet tendance à ne pas tout dire et à mentir par omission.  La vérité, c’est qu’il n’a jamais été question d’imposer aux vignerons  l’usage de l’arme chimique.   Pour prévenir un risque de maladie de la vigne, les autorités départementales  de Côte d’Or ont effectivement décrété une obligation de traitement. Mais les viticulteurs bio (14% de la corporation dans cette partie de  la Bourgogne) avaient le droit d’utiliser un insecticide naturel à base de pyrètre et toléré par leur cahier de charges. C’est ce que la plupart d’entre eux ont fait, tout en protestant contre le principe de la pulvérisation obligatoire face à une menace hypothétique.

Tempête dans un verre d’eau ? Non pas :  cette affaire demeure très lourde en enjeux. Mais contrairement à ce que fait croire l’IPSN, elle n’oppose pas dichotomiquement  l’agriculture conventionnelle et l’agriculture biologique.  Elle révèle plutôt qu’au sein de cette dernière, il y a plusieurs façons de faire.  Fils de vigneron bio, Emmanuel Giboulot fait partie des puristes qui attachent une importance primordiale à la vie du sol et à la diversité de l’écosystème  viticole. Comme le pyrètre, extrait d’une variété de chrysanthème, est un insecticide non sélectif qui peut faire aussi bien (ou, plus exactement, aussi mal) que la chimie en exterminant également les abeilles et autres insectes utiles, il a  (bio)logiquement repoussé cette alternative faussement naturelle.  Pour ça, le valeureux Bourguignon mérite assurément toute notre admiration.  Son combat pose la question de savoir si la « lutte biologique » n’est pas complètement illogique, autrement dit si on peut être à la fois bio et biocidaire.  That’s really THE question ! 

Pour y répondre,  il faut d’abord préciser ce qu’est  réellement le bio :  c’est un label qui garantit simplement  que le producteur n’a pas utilisé d’engrais ou de pesticides chimiques. On peut donc dire qu’avant l’invention  de ces substances de synthèse,  il y a une soixantaine d’années, toute l’agriculture était bio !  Or,  n’en déplaise aux amateurs d’images d’Epinal, ce n’était pas un âge d’or.  Faut-il rappeler les ravages du doryphore dans les champs de pomme de terre ou ceux  du phylloxera dans les vignes du vieux continent ?  Même en présence d’une bonne couche d’humus, d’un sol bien vivant et d’une fumure  naturelle, le paysan d’antan devait se protéger des  « agresseurs » .  Par exemple avec la célèbre « bouillie bordelaise », un mélange de chaux et de sulfate de cuivre  que les vignerons emploient encore de nos jours.  Bien qu’il s’agisse d’un vrai fongicide, et très efficace de surcroît, cette poudre bleue demeure autorisée en agriculture biologique.  Avec le pyrètre, celle-ci  s’est découvert une autre arme naturelle qui occupe désormais une place de choix dans les  « arsenaux » bio.  Ce vocabulaire vous choque ?  Il faut pourtant arrêter de se voiler la face :  même en  bio, l’agriculture consiste à faire la guerre à la nature !

Pour en prendre conscience, il suffit d’observer la vie sauvage : dans un tel environnement, par exemple une forêt primaire ou une prairie naturelle, c’est la biodiversité végétale qui règne en maître.  Jamais vous ne verrez une seule espèce de plante coloniser l’espace à son seul profit.  La nature a horreur du vide, mais elle a surtout horreur des  prises de pouvoir !  Il y a environ  10.000 ans, quand l’Homme a décidé  de rompre cette harmonie millénaire et de privilégier quelques espèces de plantes pour les cultiver,  il a mis le doigt dans un engrenage guerrier qui l’a obligé à lutter  contre les plantes concurrentes, mais aussi contre la faune et le microcosme microbien.  L’agrochimie n’est jamais que l’apogée de cette « sortie de l’Eden » racontée symboliquement par la Genèse :  désormais, l’homme devait travailler la terre  au lieu de cueillir les fruits du jardin.  La différence entre un agriculteur conventionnel et un agriculteur bio, c’est que le premier accepte encore  de bosser à la sueur de son front et que le second se révolte contre la prédiction biblique, quitte à se suicider dans une spirale biocidaire.  Mais tous deux sont prisonniers d’une logique belliqueuse qui implique d’intervenir artificiellement pour contrarier des mécanismes naturels.

Heureusement,  l’agriculture biologique a beaucoup évolué ces dernières décennies :  de la biodynamie à la permaculture en passant par diverses formes d’agriculture « douce » (sans labour, avec paillage, compost, etc…), sont apparues des manières nouvelles de concevoir le métier d’agriculteur.  Moins guerrier que jardinier, ce dernier essaie maintenant de reproduire au maximum un biotope « préagricole » où la santé des plantes est obtenue par leur diversité, leur association avec d’autres et leur enracinement dans un sol grouillant de vie.  Pour cette nouvelle race de paysan, le prédateur de ses cultures  (bactérie, algue, champignon, insecte,  limace, rongeur…), n’est plus un ennemi  à un combattre mais plutôt le témoin d’un déséquilibre.  Il veille donc à ne jamais employer de pesticides,  que ceux-ci soient d’origine chimique ou naturelle. Emmanuel Giboulot  est de cette trempe.  Ses vignes sont saines, il les estime capables d’affronter une « attaque » d’insectes et il s’est donc opposé à toute forme de traitement. Mais il n’est pas seul dans le cas. Et parmi les vignerons bio de Côte d’Or , beaucoup ont accepté un traitement,  voire deux,  mais en refuseraient un troisième, précisément pour préserver la capacité de leurs ceps à se défendre eux-mêmes !  

Malgré ses bonnes intentions, l’Institut pour la Protection de la Santé Naturelle  s’est donc fourvoyé en nous vendant cette affaire comme le récit d’une rébellion solitaire et comme  l’affrontement manichéen entre la chimie et le bio.  C’est beaucoup plus complexe que ça, et beaucoup plus …gênant pour l’IPSN.  En effet, cet organisme  a construit sa réputation en prenant la défense des médecines naturelles sans faire le tri et sans  distinction entre elles.  Or,  il saute aux yeux qu’il en va de la médecine comme de l’agriculture :  il y a à  boire et à manger !  Pour nous , la  seule répression  des symptômes ne mérite pas le nom de thérapie. Et surtout, la posture qui consiste à mener  la guerre aux prétendus agresseurs extérieurs (bactéries, virus, champignons, allergènes…) ne devrait être jamais  être adoptée (ou exceptionnellement rarement) pour prévenir ou guérir les maladies.  Le microbe n’est rien,  le terrain est tout ! Bref,   c’est la logique biocidaire, fût-elle « naturelle »,   qui représente la vraie pierre d’achoppement.   S’il plaît à l’IPSN de trébucher dessus et de vous entraîner dans la chute, ce n’est pas et ne sera jamais la mission de Néosanté.

Yves Rasir

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Le  numéro 32 (mars 2014) de Néosanté, revue internationale de santé globale.
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