Sacrosaint ne veut pas dire sain

Yves Rasir

Il y a peu, un étrange article est paru dans l’un des deux quotidiens que je lis tous les jours : « Les Belges ne mangent plus assez de pain ». Étrange d’abord par son titre, manquant singulièrement de neutralité. Si le journaliste avait écrit « Les Belges ne mangent plus beaucoup de pain », il aurait parfaitement résumé son papier sans manquer à l’objectivité. Mais non, il a préféré reprendre à son compte l’opinion du nutritionniste qu’il interroge, sans mettre de guillemets.  Étrange ensuite par la source principale d’information à laquelle s’est abreuvé l’auteur : la Global Burden Diseases Study. Derrière cette mystérieuse appellation, se cache un  réseau international de chercheurs qui sont rémunérés pour examiner la mortalité et la morbidité associées aux maladies. On comprend que ce lobby d’apparence scientifique demeure relativement discret car – je vous le révèle plus loin -, son mode de financement n’est pas du tout anodin. Étrange, enfin, par l’absurdité de la thèse avancée : Les Belges, comme tous les Occidentaux, décéderaient prématurément parce qu’ils ne consomment plus assez de pain, leur consommation étant passée à 107 grammes par jour en 2018 contre un demi-kilo au début du XXe  siècle. Le raisonnement est assez bizarre car durant cette période, l’espérance de vie a littéralement explosé dans les pays industrialisés, passant d’environ 60 ans à plus de 80 ans aujourd’hui.  A priori, ça devrait signifier qu’on se porte mieux et  qu’on mange mieux que nos aïeux. Mais par une curieuse  négation de l’évidence, voilà que les médias veulent nous faire avaler l’inverse !
 
Le pain, c’est un peu l’ingrédient sacré de l’alimentation occidentale : on est prié de le vénérer et d’accepter sans discussion qu’il soit incontournable sur notre table. Même le langage commun a intégré cette croyance puisqu’il faudrait « gagner son pain » pour vivre, « manger ses croûtes » pour grandir et « se caler l’estomac » avec le féculent farineux à chaque repas. Alors que le carbone atmosphérique est voué aux gémonies, les hydrates de carbone céréaliers jouissent d’une aura de sainteté et sont  honorés comme un don de Dieu irremplaçable. Un don ou un cadeau empoisonné ? Dans sa rubrique « Modèle paléo » du mensuel Néosanté de mai,  Yves Patte rappelle utilement que le blé n’est cultivé que depuis 10.000 ans dans le Croissant fertile et à peine depuis 7.000 ans sur le continent européen.  Comme ce dernier est peuplé depuis 1,5 million d’années, ça signifie que l’être humain établi en Europe s’est passé de blé durant… 99,7% de son évolution ! Certes, nos ancêtres chasseurs-cueilleurs picoraient bien les grains de quelques graminées sauvages poussant dans leur environnement, mais leur domestication et leur transformation par la cuisson sont des événements très récents dans l’histoire de l’humanité. Et ces événements constituent une catastrophe sanitaire sans précédent, comme le raconte très bien Yuval Noah Harari dans son best-seller « Sapiens, une brève histoire de l’humanité ». Avec la « révolution néolithique » et l’invention de l’agriculture, commencent les grandes épidémies et apparaissent les maladies de civilisation liées à des carences alimentaires. L’homme préhistorique est un grand gaillard à l’ossature  solide et à la dentition parfaite tandis que son successeur  éleveur-cultivateur – les squelettes antiques et les momies égyptiennes en témoignent – est doté d’une très mauvaise constitution. Contrairement à la légende, l’arrivée des céréales et des produits laitiers dans nos assiettes fut tout sauf un progrès en matière de nutrition et de santé !
 
On peut évidemment se demander pourquoi l’Homme a adopté des aliments dépourvus d’avantage adaptatif. Alors qu’il jouissait d’une belle vie peu laborieuse à l’abri des pénuries, le chasseur-cueilleur est rapidement devenu l’esclave des quelques plantes et animaux dont il dépendait pour subsister.  Et en misant sur la culture, il s’est condamné à ne plus manger ce que lui avait toujours gracieusement procuré la nature. Les archéologues et les préhistoriens se perdent en conjectures pour expliquer ce funeste tournant, mais il y a une hypothèse qui commence à faire consensus dans les milieux universitaires : les céréales se stockent et sont par conséquent  un instrument de pouvoir qui aurait permis aux premiers Cités-États modernes d’émerger en contrôlant et en taxant les populations. Pire : c’est le grand virage agricole qui aurait accouché de la création de la guerre, forme de conflit basé sur l’assujettissement de ses propres citoyens, l’asservissement des vaincus et l’accaparement de leurs terres arables et de leurs récoltes. Dans un ouvrage fascinant  (« Homo Domesticus », éditions La Découverte), l’anthropologue américain James C. Scott vient de vulgariser  cette vision  d’autant plus décapante  qu’elle se double   d’un diagnostic pour le moins audacieux : au lieu d’apprivoiser quelques espèces animales et végétales, le bipède humain se serait laissé  domestiquer par elles, la domination du monde par  un quatuor infernal (le blé, le riz , le maïs et le soja) étant à présent accomplie ! Ce qui est sûr, c’est que l’avènement des céréales n’a en rien amélioré  la vie des peuples d’antan. Comme le récit de la Genèse le suggère,  cet appauvrissement de leur régime alimentaire a  plus que probablement été vécu comme  une expulsion du paradis et  comme une punition obligeant  à travailler dur pour obtenir une moins nourrissante nourriture. 
 
Sanctifié par le christianisme naissant, le pain attendra pourtant deux millénaires avant d’être paré de vertus diététiques :  c’est en effet en 1992 que la fameuse « pyramide alimentaire » fait des produits céréaliers le socle d’une alimentation équilibrée. Ce qu’on oublie généralement de dire, c’est que ce triangle stratifié n’a pas été conçu par une quelconque autorité de santé ni par un cénacle savant. L’idée d’imposer un diktat pyramidal a germé au sein du Ministère de l’Agriculture américain, soumis à la pression des lobbies agro-industriels et confronté à l’époque à d’énormes excédents de production. Pour les écouler, il fallait diaboliser les graisses, vanter l’apport énergétique d’origine glucidique et occulter les méfaits du gluten, la partie protéique du blé. Encore maintenant, la pyramide alimentaire officielle (légèrement remaniée en 2005) et recommandée par les diététiciens du monde entier  est en réalité la simplification visuelle du « Guide diététique pour les Américains » publié par le département agricole américain. Considérer cette publication comme un catéchisme du bien manger équivaut à prendre la Réserve fédérale pour une association caritative ou le Pentagone pour un organisme de promotion de la paix ! Fort heureusement, l’empire étasunien est aussi un terreau fertile pour les idées dissidentes. C’est aux USA, notamment à l’école de santé publique d’Harvard, que la science nutritionnelle conteste le plus vigoureusement les avantages sanitaires attribués aux denrées céréalières, en pointant notamment leur inconvénient glycémiant (les sucres dits lents ont quand même souvent un index glycémique élevé et finissent par épuiser le pancréas) et les mauvais côtés du gluten (qui n’affecte pas seulement les malades cœliaques). Et ce ne sont là que deux défauts parmi d’autres ! Savez-vous, par exemple, que le blé contient des molécules qu’on retrouve dans l’opium et qui sont aussi addictives que cette drogue dure ?  Je ne vais pas m’étendre sur le sujet et je vous renvoie à trois livres précieux si vous voulez en apprendre plus sur les dangers cachés des produits céréaliers : « Pourquoi le blé nuit à votre santé », de l’éminent cardiologue William Davis , « Ces glucides qui menacent notre cerveau », du neurologue David Permutter,  et « Gluten : comment le blé moderne nous intoxique », de Julien Venesson. Ce dernier est français et n’est « que » journaliste scientifique, mais il a acquis une solide expertise en compulsant la littérature spécialisée et en testant sur lui-même l’approche paléo-cétogène. Tout comme notre collaborateur Yves Patte, qui n’a pas (encore) écrit de bouquin mais qui, je vous le rappelle, publie actuellement une série de « mises au point sur le pain » dans la revue Néosanté. Dans son article de juin, notre expert  explique que les recherches récentes montrent que d’autres composants du blé – les inhibiteurs de l’amylase-trypsine – peuvent endommager et fragiliser les muqueuses intestinales. Voilà pourquoi les personnes décidant de ne plus manger de gluten se sentent rapidement mieux dans leur peau, dans leur ventre et dans leur tête !  
 
Les pauvres, ils ne savent pas que ce bien-être retrouvé les rapproche du cimetière, du moins si l’on en croit l’article de presse déplorant le dédain contemporain envers le pain. Comme je vous le disais plus haut, ce texte s’appuie en partie sur le Global Burden Diseases (GBD), un projet de recherche qui vise à augmenter les connaissances sur plus de 300 maladies répandues à travers le monde. Selon les travaux de ce réseau de chercheurs, un apport insuffisant en céréales complètes serait le facteur alimentaire qui pèserait le plus sur la santé et la longévité des individus. Il trône au premier rang des années de vie perdues et  il devance largement l’excès de sel,  l’abus de boissons sucrées et la consommation débridée de viande rouge. Je vous avoue que je ne  me suis pas plongé dans ce document pour en décortiquer les failles et les biais de confusion éventuels. Mais outre le fait qu’une étude épidémiologique ne permet jamais d’affirmer un lien de causalité,  il y a un « détail » qui saute immédiatement aux yeux : celle-ci repose sur des données statistiques abondantes et précises, ce qui suppose un système de santé capable de les collecter. Le GBD rassemble 1.800 chercheurs originaires de 127 pays mais en très  grande majorité américains et européens, le QG de l’organisation se situant à Washington.   Si les consommateurs  de céréales intégrales (plus riches en fibres et en minéraux)  vivent plus longtemps et en meilleure santé que les mangeurs de céréales raffinées (pizzas, pâtes blanches, pain blanc…) , c’est  probablement tout simplement parce que les bonnes habitudes sont mieux ancrées dans les classes sociales élevées des pays développés. Selon toute vraisemblance, la lanterne n’est donc qu’une  vulgaire vessie. Du reste, les auteurs se sont bien gardés de constituer un groupe de contrôle avec des non-mangeurs de céréales (peuplades primitives, adeptes du régime paléo ou d’un régime « lowcarb »…), ce qui dévalorise totalement leurs conclusions quant au bénéfice d’en consommer.  Bref, les scientifiques qui ont participé à ce programme ont enfoncé une porte ouverte mais n’ont nullement prouvé que le pain et les autres produits céréaliers présentaient un quelconque intérêt pour faire de vieux os.  
 
Par contre, le GBD a intérêt à le faire croire. En me renseignant sur ce « machin », j’ai en effet découvert qu’il a  été fondé et est entièrement financé par la Fondation Bill and Melinda Gates. Comme vous le savez sans doute, le multimilliardaire américain et son épouse ont créé cette fondation en prétendant poursuivre des objectifs philanthropiques dans le domaine de la santé. Mais rien n’est plus éloigné de la vérité ! L’ex-patron de Microsoft n’est pas un généreux mécène mais un homme d’affaires cupide qui a choisi ce stratagème pour embrouiller le fisc américain et faire encore fructifier son argent. Car là est la duperie : la Fondation récupère allègrement ses dons en faisant faire de plantureux bénéfices aux firmes où Bill a placé ses billes. Les multinationales pharmaceutiques, of course,  mais aussi celles de l’agrochimie puisque le pseudo-bienfaiteur soutient ardemment le développement d’une agriculture aliénée aux pesticides, aux semences brevetées et aux OGM. De même qu’il prône une techno-médecine axée sur les vaccinations, le nabab  de l’informatique rêve d’un agrobusiness écrasant le petit paysan au profit de Monsanto & Co.  Le Néosanté de juin vous explique tout ça dans un article relatif à un livre qui vient de paraître sur le système de « fausse générosité » mis en place par Oncle Bill et Tante Melinda. L’offensive médiatique en faveur du pain peut-être lue comme un duplicata de la propagande du couple Gates en faveur des vaccins : il s’agit, encore une  fois, de nous faire (sur)consommer ce qui les arrange bien financièrement.
 
Pour conclure cette (trop) longue lettre, permettez-moi de partager mon opinion et mon expérience personnelles à propos des céréales. À ce stade de ma vie, je pense que cette catégorie d’aliments n’a rien à faire dans une pyramide alimentaire authentiquement diététique. Comme nos ancêtres chasseurs-cueilleurs, nous pouvons trouver des glucides bien plus sains dans les fruits et les légumes.  Je ne jette cependant pas l’anathème sur les produits céréaliers car ils ne sont pas des poisons mortels. Le gluten, c’est pas de la mort-aux-rats ou du Novitchok ! Je signale volontiers que le Dr Seignalet, dont le régime ancestral excluait le lait et le blé, a été emporté par un cancer fulgurant à seulement 65 ans ! L’orthorexie ne protège pas des maladies puisque leurs vraies causes se situent ailleurs que dans notre assiette. Néanmoins, je plaide depuis belle lurette que la santé  cérébrale est intimement liée à celle du cerveau intestinal, et donc que la prévention réclame une attention pour la nutrition. Perso, ça fait longtemps que je ne mange quasiment plus de produits laitiers ni céréaliers. Mais  comme j’ai la chance de ne pas être intolérant à la caséine ni au gluten, je m’accorde régulièrement le plaisir d’en déguster. Si je suis invité à petit-déjeuner ou à bruncher, je ne vais pas cracher sur une viennoiserie. Les jours de fête, je ne dédaigne pas un bon morceau de gâteau ou un délicieux dessert pâtissier. Si je suis en vacances en France, il ne me viendrait pas à l’idée de bouder la baguette et le croissant au beurre, chefs-d’œuvre de l’art de vivre français. Lorsque je vais dans un bon restaurant, je peux m’ouvrir l’appétit avec le petit pain  à l’ancienne tout chaud qui me fait de l’œil dans son panier. Bref, je suis « paléo » tendance « flexo » et  je considère qu’un régime est d’autant plus agréable à suivre qu’il autorise des exceptions. Si je verse dans l’excès, mes intestins me rappellent à l’ordre et je compense par un court jeûne réparateur et/ou un effort sportif supplémentaire. Nul besoin de désespérer complètement le boulanger pour s’alimenter en ménageant sa santé. Mais pas besoin non plus de gober tout cuit que le sacrosaint pain est un aliment sain : c’est une infox !

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Un commentaire

  1. Très bon article, même s’il est un peu long, mais bien expliqué comment les lobbies se cachent derrière une façade bien policée et relevant de la recherche scientifique. Pour toucher la masse des gens ce n’est pas facile, sans tomber dans un langage trop simple, seule l’expérience vécue dans la simplicité permet le changement. ( Dixit Tai Chi )

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