LE TOUCHER, un sens trop négligé

Article n°93 par Jean-Brice Thivent

Un bébé ne pleure que pour trois raisons : la faim, la douleur ou la perte de contact peau-à-peau avec sa maman. Le toucher maternel est tellement important pour le petit d’homme que la plus grande zone de son cortex est dévolue à cette perception sensitive. S’il manque de sécurité affective, il risque d’en pâtir toute sa vie. Pour décoder certains troubles de l’enfance, il sera donc utile de rechercher une éventuelle carence de câlins périnataux. Et pour comprendre certains symptômes chez les adultes, de voir si la tendresse et le contact charnel ne font pas défaut.

Vous connaissez peut-être l’expérience suivante : vous privez un bébé singe du contact de sa mère et de toute source de nourriture. Au bout de quelques jours, vous le mettez face à deux cages contenant pour la première un plateau de nourriture, et pour l’autre une fourrure de singe. Quel choix croyez- vous qu’il fera ? La fourrure bien sûr, car les mammifères ont d’abord besoin de nourriture affective (contact peau à peau) pour grandir et évoluer en étant sécurisé. Concernant les primates, les expériences du psychologue américain Harry Harlow ont montré, dès la fin des années 1950, l’importance du contact physique entre la mère et son petit dans le développement du singe rhésus. Et l’on sait également l’importance du toucher dans le développement psychologique des enfants : privés de contact physique, ils peuvent plonger dans un état dépressif, comme en témoignent les tristement célèbres orphelinats de l’ère Ceausescu, en Roumanie.

L’angoisse dé séparation

Chaque espèce vivante a un sens dominant. Pour le chien, c’est l’odorat, pour la chauve souris, c’est son sonar, l’aigle quant à lui, survit grâce à sa vue…). Chez l’homme adulte, nous nous servons essentiellement de la vue et de l’ouïe pour appréhender le monde. Ce n’est pas le cas pour le nouveau né qui vient de sortir d’un milieu clos, humide et noir ! Le premier sens à se développer chez l’embryon est le toucher. Ce sera le sens dominant du bébé et il restera toute notre vie un outil de perception très sensible. La plus grande zone de notre cortex (la zone post-sensitive) est d’ailleurs entièrement dévolue au contact, et plus particulièrement au contact maternel (1) lorsque nous sommes de jeunes enfants. Cela signifie que le nourrisson n’est rassuré qu’au contact de la peau de sa mère (l’odorat participe aussi à cette sécurisation). Séparé de sa mère (c’est à dire en perdant le contact peau à peau), un bébé ne se sent plus en sécurité. Pour son cerveau, c’est comme s’il était abandonné et livré à lui-même dans la nature hostile. À tout moment, il peut être la proie d’un prédateur. C’est alors que la zone post-sensitive « s’allume », signalant une alerte vitale. Très vite, le bébé se mettra à pleurer pour appeler sa mère (2). Un bébé ne pleure que pour trois raisons : la faim, la douleur, ou la perte de contact peau à peau. Dans les trois cas, il est dans une angoisse de séparation qui ne sera soulagée qu’au contact de sa mère. (C’est elle qui est censée biologiquement nourrir, soulager et protéger)

L’hormone de l’attachement

Une personne n’ayant pas été suffisamment sécurisée par le contact peau à peau avec sa mère risquera, à l’âge adulte, d’être en proie à des angoisses inexpliquées. Elles sont l’expression d’un besoin de sécurité affective non satisfait, mémoire d’une mère trop distante quand nous avions besoin d’être rassurés. Chez le rat, divers travaux ont mis en évidence l’importance du toilettage et du léchage maternel sur sa progéniture : plus les petits sont léchés après leur naissance, et moins le taux d’une hormone de stress, comme la corticostérone, est élevé. Le toucher est le sens de l’amour et de la sécurité affective. Par le portage d’un bébé, un câlin, un massage ou des caresses lors d’un échange amoureux, nous sécrétons l’hormone de l’attachement, l’ocytocine. Cette hormone est aussi celle du lien qui nous rassure et nous sécurise sur le plan affectif tout au long de notre vie. Elle est d’ailleurs aussi considérée comme l’hormone de la fidélité dans le couple..L’ocytocine nous rend confiant en nous-même et en notre partenaire. C’est un filtre d’amour. Alors, touchez votre conjoint si vous vous souhaitez le garder pour vous !

Les avantages de l’épouillage

Cette relation entre le toucher et l’amélioration du lien affectif s’exprime à travers l’une des principales fonctions de l’épouillage chez les singes bonobos. Des chercheurs viennent de découvrir que cette activité modifie l’activité de la peau, qui devient alors plus efficiente dans la conservation de la chaleur interne du corps. Le singe conserve ainsi plus d’énergie qui sera utilisée pour la reproduction et la recherche de nourriture. On savait déjà que l’épouillage est une façon de créer du lien social, d’éliminer des tensions au sein du clan. On comprend ici que « chercher des poux » est l’équivalent de cette caresse dans les cheveux, source de chaleur corporelle et de tendresse. Les enfants « tête à poux » demandent inconsciemment la caresse de leur mère. Ils cherchent ainsi un contact bienveillant qui apportera de la chaleur et de la sécurité affective.

Des caresses contre les escarres

Ce qui est vrai pour l’enfant l’est aussi pour les personnes âgées qui se sentent délaissées. Abandonnées dans leur lit, privées de contact physique chargé d’un minimum de tendresse, elles développent souvent des escarres. Escarres est l’anagramme de caresse ! Les escarres sont des lésions (ulcérations) de la peau dont l’origine médicale est attribuée exclusivement aux pressions et frottements répétées quand l’on reste alité ou en fauteuil roulant. Mais toutes les personnes longtemps alitées ne souffrent pas d’escarres. Seules celles qui manquent de contact charnel chargé d’affect développeront ce type de lésions. La circulation se ralentit localement, la peau perd peu à peu sa sensibilité à l’image du malade qui est privé de contact chaleureux. On sait d’ailleurs, en milieu hospitalier, que la prévention des escarres passe entre autre, par le massage. Mais un massage mécanique ne saurait remplacer un toucher chargé d’affect et de bienveillance.

Le docteur Olivier Florent (3) raconte l’histoire d’une rencontre qu’il a faite à l’hôpital psychiatrique avec une femme atteinte de démence qui n’arrêtait pas de hurler ses angoisses toute la journée. Il fit l’expérience de lui prendre tendrement les mains. Cette femme réagit en prenant à son tour la main de ce médecin et l’amena jusqu’à sa joue pour se donner une caresse. Elle a ensuite embrassé cette main et durant toute l’après midi suivant cette rencontre, cette femme a cessé de hurler. Elle fût rassurée par ce simple contact charnel comme un bébé serait rassuré dans les bras de sa mère. Que ce soit le nouveau né qui pleure, l’enfant qui « attrape » des poux ou la personne âgée alitée qui fait des escarres ou qui est angoissée, ils sont tous en demande de contact charnel, de câlin et de tendresse. A tous les âges de notre vie nous avons besoin d’être touché par des mains accueillantes pour notre équilibre affectif. Aux Etats Unis, il n’est pas rare de trouver sur les trottoirs des personnes offrant un câlin gratuit (Hug) comme s’il fallait compenser l’excès de matérialité et de technologie qui caractérise notre société capitaliste. Une société qui instrumentalise le corps, qui offre tout sauf l’essentiel, le contact peau à peau, premier langage de l’amour, si important dans les sociétés traditionnelles.

Nous allons voir que ce contact est peut-être l’un des éléments clefs pour redonner à une certaine jeunesse occidentale le goût de l’effort, le courage face à l’adversité, tout en conservant des valeurs comme l’écoute, la conscience de l’autre et le respect de son prochain.

Les câlins maternels contre l’échec scolaire

Dans ce qui précède, j’ai essayé de montrer l’importance du toucher dans la construction de notre équilibre affectif. Nous allons maintenant découvrir les liens insoupçonnés entre le contact maternel dans notre enfance et notre relation au travail.

Vous devez savoir, si vous êtes abonné à Néosanté, que la peau est principalement associée au conflit de séparation (voir eczéma, psoriasis, allergies…). Ce que l’on sait moins, c’est qu’elle est une interface d’échanges et de mémorisation.
Chez les animaux, un des plus importants modes de communication se fait par le toucher. Les informations et la transmission des connaissances passent par le contact. Ils se lèchent, se grattent… certains insectes se frottent les antennes… Ils enregistrent et mémorisent ainsi des informations sur leurs états réciproques et sur ce qui leur permettra de s’adapter à leur environnement. La transmission d’informations et leur mémorisation passent par le toucher, et donc par la peau. La zone du cerveau qui gère la peau, et donc les conflits de séparation, est très proche et en lien subtil avec celle qui gère la mémoire courte.
C’est ce qui permet de comprendre le lien biologique existant entre le toucher et nos capacités de mémorisation. Un enfant qui n’est pas suffisamment touché par ses parents aura plus de difficulté à retenir les informations qu’il reçoit à l’école ou celles de ses leçons apprises à la maison. Or, comme le système scolaire est basé sur « l’apprentissage par cœur », le manque de « cœur » (ou de câlins dans l’enfance) est une des causes de l’échec scolaire. Un enfant qui mémorise mal est un enfant avide de gestes de tendresse.

Le contact maternel et l’attitude face au travail

Le monde de la ruche nous apporte une illustration biologique de la relation travail- contact maternel. Le rôle de la reine est essentiel dans le comportement des abeilles de sa colonie (qui sont sa descendance). Si l’on sépare la reine de ses ouvrières par un petit grillage empêchant tout contact (donc entre la « mère » et ses « filles »), très vite la ruche se désorganise. Précisons ici qu’on n’enlève pas la reine, on place juste une petite grille empêchant seulement le contact physique. Les ouvrières deviennent alors reproductrices et elles négligent les travaux qui sont habituellement les leurs. La désorganisation est totale. Pourtant, les ouvrières peuvent voir ou entendre la reine et pourtant, elles agissent comme si celle-ci n’existait pas.
C’est le conflit des enfants qui n’arrivent pas à s’investir dans leur travail ou qui s’arrêtent brutalement de travailler à l’école. Ils sont intelligents, ils travaillent très bien et du jour au lendemain, c’est la rupture totale avec l’école. Regardez : les ouvrières négligent les travaux qui sont habituellement les leurs. L’enfant va négliger le travail qui est habituellement le sien pour la seule et bonne raison qu’il n’a plus de contact avec sa mère. Le changement d’attitude d’une mère devenant plus froide, distante, préoccupée, négligente, ainsi que les divorces ou d’autres sources de rupture de contact maternel, peuvent être à l’origine de difficultés scolaires. Ces difficultés sont souvent incompréhensibles si l’on ne connaît pas cette lecture éthologique des conflits. (4)

Cette désorganisation face au travail scolaire me fait penser au syndrome de déficit de l’attention dont souffrent de nombreux enfants aujourd’hui. Ces enfants incapables de se concentrer sur une tâche souffrent aussi sans doute d’une carence de contact maternel.

Contact maternel : la voie vers le courage

Mettons nous maintenant dans la peau d’un enfant qui n’a jamais été touché par sa mère, qui n’a jamais reçu de gestes d’affection. Cet enfant sera sûrement profondément angoissé. Il essayera à maintes reprises de recevoir du contact de sa mère. Mais celle-ci va à chaque fois le rejeter. L’enfant ira parfois jusqu’à la délinquance pour recevoir au moins des coups de sa mère. Il fera alors des « bêtises », se mettra hors la loi pour attirer l’attention de ses parents. Se faire frapper, c’est toujours mieux que l’indifférence ! Quelle qualité faudra-t-il alors à cet enfant pour aller vers sa mère en espérant être pris dans ses bras ? De la persévérance, de l’abnégation…pas seulement. C’est du courage qu’il lui faudra pour revenir vers une mère froide. Car c’est à chaque fois plus terrible de se faire rejeter.
Regardons ça sur le plan généalogique. Prenons une femme qui, toute sa vie, n’a pas été touchée ni câlinée par sa propre mère. C’est comme si ses efforts incessants pour recevoir un peu de contact et de tendresse avaient épuisé la quantité de courage familial. La conséquence généalogique (projet-sens) est que les enfants de cette femme n’auront plus le courage d’affronter des situations difficiles ; Pour cette femme, chaque fois qu’elle fît preuve de courage en essayant de se rapprocher de sa mère, cela n’a rien donné, si ce n’est du rejet. Le cerveau en déduit : avoir du courage ne sert à rien. Cela devient l’injonction transmise à la descendance. Et dès qu’il s’agira de faire le moindre effort, ses enfants baisseront vite les bras, n’ayant plus aucun courage face à l’adversité et au travail.

Les modes de communications tournés vers les nouvelles technologies (écran, portables…), l’instrumentalisation et la marchandisation du corps,… nous éloignent de la communication par le toucher. Pourtant, l’accueil du nouveau-né contre le ventre de la mère, l’allaitement, le portage, les câlins et les caresses du soir …sont essentiels au développement de l’enfant, à son équilibre affectif ainsi qu’à son rapport au travail.

Ces dernières années, toutes les orientations éducatives donnent la priorité au langage verbal, aux savoirs intellectuels ou encore à l’autonomie… Mais comment construire son autonomie sans sécurité affective ? Les parents reçoivent des injonctions de leur pédiatre tels que : « Surtout ne prenez pas trop votre bébé dans les bras quand il pleure ! », « Ne l’allaitez pas trop longtemps », « Ne le portez pas continuellement contre vous…vous allez en faire un enfant gâté » ! Je ne pense pas que dans les sociétés traditionnelles où le portage du bébé est continu toute la journée, les enfants soient plus capricieux que dans notre société occidentale. Au contraire, une éducation basée sur le contact peau à peau (portage-massage comme en Inde par exemple) est à la fois sécurisante et propice au développement de qualités humaines comme la volonté et le courage.

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Un commentaire

  1. Merci pour cet article plein de bon sens.

    Ayant moi-même été victime d’une mère mal aimante, je sais exactement ce que sont les angoisses que vous décrivez.

    Quand j’entends autour de moi des gens recommander à des mamans de ne pas trop prendre leur enfant dans les bras, de ne pas répondre à ses pleurs, de les laisser s’endormir en pleurant, etc., je m’empresse de donner mon avis et mon expérience.

    Heureusement, je n’ai pas reproduit avec ma fille ce qui a été fait pour moi. Je l’ai allaitée jusqu’à ses 3 ans, j’ai toujours répondu à ses pleurs et à ses demandes de câlins, je suis toujours là pour elle. Je vois qu’elle est heureuse, épanouie, pleine d’allant, intelligente, en pleine forme et absolument pas capricieuse.

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