GUY CORNEAU
De l’hommage à l’héritage

Voici déjà un an que Guy Corneau est décédé, quasi au seuil de ses 66 ans. Le choc est passé, pas l’émotion… Psychanalyste, auteur à succès, conférencier, chroniqueur, leader de groupes de parole et de développement personnel, explorateur de mythes, mais aussi homme de théâtre, cet homme éclectique, passionné autant que passionnant, nous avait fait la joie d’accompagner la sortie du numéro 1 de Néosanté, en nous accordant un entretien-phare (et fleuve !) qui résonne encore davantage à l’aune de sa disparition, puisqu’il nous y parlait de la vie, de la mort… Il était naturel, pour nous, qu’il inaugure la série de grands entretiens de spécialistes de la santé du corps et de l’esprit, dont la pensée va au-delà des maux ; de ceux que nous avons à cœur de mettre en lumière depuis les premières heures du magazine. Il venait alors de publier « Revivre ! », récit de sa traversée du cancer. Ce témoignage porteur d’espoir, empli d’humanité et d’humilité, plaide pour une médecine intégrative – « intégrale », disait-il – et le décodage des signes que sont nos symptômes. Ainsi trouver le sens à même d’initier le chemin de la guérison. Dans l’hommage qu’elle lui a rendu, Marie de Hennezel pointe cette phrase : « Les morts ne nous demandent pas de les pleurer, mais de les continuer. » C’est la voie que nous avons choisi d’emprunter avec ce dossier qui prolonge l’œuvre et célèbre l’engagement de Guy Corneau vis-à-vis de notre santé globale. Cœur, corps, conscience.  

Par Carine Anselme 

 

 

Tout journaliste (vous) le dira : interviewer Guy Corneau resté gravé dans l’esprit comme un moment rare… Profond et sans concession. Chaque entretien accordé en dit long : sur lui, certes, mais surtout sur ses valeurs et ce qu’il souhaitait transmettre. 

Je me souviens de l’intensité de notre rencontre, en 2011. Il avait choisi le lieu de notre entretien, L’Intemporelle ; le restaurant bruxellois de son ami Jamil, car cet homme de goût avait le plaisir de vivre chevillé à l’âme et au corps. « C’est encore ce qu’il y a de mieux pour rendre la vie pétillante comme des bulles de champagne », me confiait-il, sourire au coin des yeux. Cultiver la joie et nourrir le goût de vivre… c’était là, sans conteste, l’un de ses meilleurs atouts santé, qu’il n’a eu de cesse de (nous) transmettre depuis l’épiphanie de la maladie.  

J’avais alors été impressionnée par la qualité de ses silences, nombreux durant notre entretien, traduisant la profondeur de ses réponses et le choix en conscience des mots qu’il souhaitait communiquer. Sa journée avait démarré par une méditation ; l’un des engagements pris avec lui-même pour éviter de retomber dans la spirale du trop-plein d’activités, de perte de sens et de déconnexion au Soi, ayant fait, selon lui, le lit de la maladie. Par sa manière d’être, Guy Corneau avait l’art et la manière d’incarner le dépassement des contraires, cher à Jung - sa référence en tant que psychanalyste. Ouvert et généreux dans ce qu’il transmettait en interview, charmeur et charmant, il était néanmoins pudique et gardait une (juste) distance lui permettant de poser le cadre et de gérer les limites de l’intime à ne pas enfreindre. « Il ne s’agit pas de raconter ma vie, mais de partager mon expérience », aimait-il répéter, dans ce souci constant d’honnêteté avec lui-même et d’authenticité avec les autres. S’il entretenait le goût de la scène, renforcé par sa notoriété certaine (d’auteur, de conférencier, mais aussi d’homme de spectacle), il veillait constamment à conserver l’humilité propre à sa profonde humanité, évitant l’écueil du donneur de leçon « star », sur lequel buttent certaines personnalités du monde de la psychologie et du développement personnel.  

 

Réminiscences comme autant de graines d’enseignement 

 

Rarement entretien ne m’aura menée aussi loin – dans les abysses de l’être et la puissance du sens de l’existence. Des aspects nourris par sa proximité avec les extrémités de la maladie, donc de la vie. Peu avant son décès, tout en poursuivant son parcours d’auteur et de conférencier, Guy Corneau a réalisé le rêve de renouer avec ses premières amours pour le théâtre  – notamment en tant que co-auteur et l’un des acteurs de la pièce L’Amour dans tous ses états ; psychanalyse d’un couple en crise, où l’auteur de N’y a-t-il pas d’amour heureux campait (tout naturellement) le personnage du psy (1). Tourner son regard vers le théâtre fut un cap essentiel pour lui qui reconnaissait, lors de notre interview, avoir sacrifié une partie de sa spontanéité et de ses talents pour rentrer dans le moule. Sacrifice, ô combien universel, mais qui, selon lui, peut nuire gravement à la santé. À bon entendeur… 

À l’issue de notre entretien, hyper-conscient de sa finitude (comme nombre de ceux qui ont touché les rebords de la mort), il concluait sereinement : « Le message (impertinent) de mon livre est que la maladie aide à être pleinement vivant. Mais cela ne veut pas dire que l’on n’en mourra pas. Bien sûr que je vais mourir. Peut-être même du cancer. Mais je mourrai heureux de ma trajectoire. »  Finalement, ce n’est pas le cancer qui l’a emporté mais son cœur plus-que-vivant qui a lâché prise, à l’issue d’une cardiomyopathie fulminante, survenue peu après le décès de sa sœur, l’artiste-peintre Joanne Corneau. Gageons que cet homme accompli est parti heureux (ses proches l’ont dit serein), mais sa lumière nous manque… En lui rendant hommage, Jacques Salomé soulignait que Guy Corneau avait su apporter « le meilleur de soi dans chacun de ses engagements tournés vers le mieux-être ». Voici donc revisités quelques principes-clés qu’il nous a légués en matière de santé. Une vision où corps et esprit sont indissociables de la quête d’équilibre propice à la pleine expression de notre vitalité et de notre créativité humaine. Car mettre chacun en contact avec son étincelle créatrice, reste l’alpha et l’oméga de tout son parcours, de toute sa transmission. « Nous sommes là pour nous déployer », m’avait-il partagé.  

  

Matière à réflexion 

 

D’une riche complexité, la personnalité de Guy Corneau était lumineuse, mais son regard pouvait subitement s’ennuager du passage momentané d’un grain de gravité… C’est que les intempéries de la vie n’avaient pas épargné l’auteur de livres aux titres résonnants comme autant d’échos à des blessures biographiques (voir À lire). Au-delà de sa traversée du cancer, transmise dans le livre « Revivre ! » comme un potentiel chemin de guérison du corps mais aussi de l’âme, il a notamment souffert, une grande partie de sa vie, d’une colite ulcéreuse, une maladie inflammatoire chronique de l’intestin. Ses troubles de santé ont inéluctablement influencé sa façon de (se) raconter à travers les livres, témoignages et conférences. Il ne se positionnait pas comme un psy « sachant » (« un sujet supposé savoir », comme disait Lacan), mais davantage comme un humble explorateur de l’âme humaine, dont la sienne en premier lieu. Les expériences douloureuses lui ont ouvert le cœur. En partageant cela avec le psychothérapeute Thierry Janssen, il s’en amusait : « Il vaut mieux que nos souffrances intimes nous ouvrent le cœur plutôt que de le briser. » Une phrase qui résonne aujourd’hui étrangement, au regard du mal qui l’a emporté…   

Alors, il partait souvent de sa propre expérience, avec humilité et humanité, pour témoigner sans fard de ce qui a été rencontré, dépassé comme épreuves, comme souffrance… Ce n’était pas là une manière égotique, ni anecdotique d’écrire ; c’était puiser au plus profond de lui-même « matière » à réflexion, à transmission. Il n’y avait pas de mise à distance du lecteur qui, ainsi, est à même de s’identifier, dans ses forces et ses fragilités. « Me voici, passé par le gué d’une terrible épreuve, ayant récupéré tant de santé et de joie que j’en suis tout étonné. J’entreprends donc de vous la raconter afin que le bilan qu’elle m’a amené à faire puisse éventuellement vous servir à vous ou d’autres personnes », témoigne-t-il dans « Revivre ! ». Pourtant, Guy Corneau reconnaissait qu’il ne trouvait pas facile de se retourner sur lui-même dans ce passage escarpé de son existence. Mais il complétait : « Je me dis que le jeu en vaut la chandelle s’il peut servir quelques navigateurs égarés sur la mer périlleuse de la maladie. Je souhaite de tout cœur que mon récit puisse inspirer leur cheminement et les guider à bon port, que ce soit ici bas ou dans l’au-delà… Ce n’est pas le psychanalyste qui parle d’abord ici, mais l’homme confronté à sa propre finitude. » C’est ainsi que ses livres, ses conférences, ses vidéos ainsi que ses écrits sur son site Internet, ont donné le courage de (re)vivre – ainsi que des conseils pratiques – à de nombreuses personnes en souffrance.   

 

Du sens de la maladie  

 

Sans en faire pour autant l’apologie, Guy Corneau voyait la maladie comme un « séisme salutaire » (sic). « La compréhension du sens de la maladie débloque la vie, donc la vitalité », soulignait-il. Selon lui, toute maladie donne à voir notre déséquilibre intérieur et trahit une rupture avec soi-même : on néglige ses besoins, on épuise ses réserves, on se dit qu’on verra plus tard…mais la maladie (nous) attend au tournant. Dans le cas du cancer, il pointait du doigt une rupture plus fondamentale, remontant généralement à l’enfance. Une vision nourrie naturellement par son approche psychanalytique. « Mon impression est que les « grandes » maladies aident à démanteler les structures les plus profondes et sont initiatrices de grandes transformations. J’ai eu une enfance difficile, sur laquelle je ne souhaite pas m’étendre. Pour survivre, j’ai été obligé de rompre avec mon essentiel, avec une partie importante de mon moi profond. J’ai ainsi développé ce que l’on appelle un « soi de survie », qui m’a éloigné de mon authenticité, de ce que je voulais et de qui j’étais vraiment. Selon moi, beaucoup de cancers prennent racine ainsi. Il faut comprendre que les parties reniées, écrasées, humiliées de soi mènent une existence de sans-abri à l’intérieur de l’être. Tôt ou tard, elles agissent comme des zones d’inflammation qui bloquent le fonctionnement habituel », reconnaissait-il. Il envisageait donc la maladie comme un processus ouvrant à une mue possible. Et d’ajouter : « Les parties reniées de l’être forcent une déstructuration pour une restructuration de la personne. En d’autres mots, elles engagent un bouleversement suffisant de l’organisation psychique pour permettre une réorganisation, si l’on est à même d’entendre le message des profondeurs. Pensez par exemple à un abcès qui se développe sous une couronne dentaire et qui forcera le démantèlement de la superstructure imposée à la dent pour pouvoir être soigné. Une maladie agit comme un abcès qui un jour ou l’autre va obliger une remise en question de l’équilibre global de la personne. Plus vous êtes à même de favoriser cette remise en question, plus vous favoriserez les mécanismes de retour à l’équilibre. Comme dans un cataclysme collectif qui attire la compassion et favorise la naissance d’une nouvelle fraternité humaine, le séisme personnel de la maladie rend possible une nouvelle unification des forces de l’individu et une réorganisation de sa vie, faisant éclater le soi de survie. La personne a alors l’impression de se libérer d’un poids énorme. » Guy Corneau avait ainsi l’intime conviction que la maladie vient nous aider à retrouver l’essentiel, à guérir les blessures les plus profondes. Car la maladie, en ouvrant la voie à une simplification salutaire de l’existence, convie l’individu à cesser de se saboter lui-même. Celui-ci devient alors plus apte à se reconnaître et à s’aimer parce qu’il a retrouvé le lien direct avec ce qu’il ressent véritablement. En contact avec son soi authentique, il cesse de survivre pour vivre pleinement.   

 

Se reprogrammer pour la santé 

 

Même s’il appelait à débusquer le sens de la maladie, Guy Corneau s’opposait à tout  

diagnostic définitif qui viendrait, de l’extérieur, « plaquer » un sens précis et unique à un symptôme. Lors de notre entretien, en évoquant, sa rencontre avec le décodage biologique (approche qu’il trouvait « intelligente et intéressante »), il faisait cependant remarquer : « J’ai la résistance facile, mais je crois que personne ne détient une interprétation définitive : il s’agit d’hypothèses, de pistes de réflexions, pas de dogmes. J’ai besoin d’un certain flou artistique, car il me permet de penser par moi-même. L’essentiel réside dans le fait que ces hypothèses soient porteuses de sens pour la personne qui les reçoit de la part d’un intervenant. Toutes les démissions sont douteuses, même s’il s’agit de s’en remettre à Dieu ! D’une manière générale, il ne suffit pas de croire ce que l’intervenant dit (qu’il vienne des médecines alternatives ou de la médecine conventionnelle, d’ailleurs), ni d’accepter les choses passivement pour que le problème disparaisse. Il faut s’en mêler : c’est soi qui est malade. Plus que trouver vite, le plus important est de chercher : de  se mettre en chemin vers soi-même. » En exergue de son livre « Revivre ! », Guy Corneau citait le poète soufi Rumi : « La maison est en ruine, mais il y veille quelqu’un qui ne peut être ruiné. » Ainsi, (re)prendre sa vie, donc sa santé en main, demeure l’un des grands leitmotivs de son parcours. « Même si les traitements sont indispensables, il ne faut pas les subir passivement. C’est à nous de nous reprogrammer pour la santé. En écrivant Revivre, je voulais engager une réflexion, non seulement de survie, mais aussi de vie, en disant que le cancer est une opportunité de se retrouver, de se transformer, de se développer. » Il n’a eu de cesse, en expérimentant des approches plurielles (médecine psychosomatique, pratiques énergétiques, médecine traditionnelle chinoise, mais aussi la méditation ou le contact avec la nature…), garantes d’une médecine intégrative dont il faisait volontiers le plaidoyer, de stimuler les mécanismes naturels de régénération. Il reconnaissait que le mot autoguérison fait « peur » tellement il est mal compris, alors que tout l’enjeu est de mettre en place des moyens à même de créer des contextes favorables à la régénération de nos cellules. « Il ne s’agit pas de pensée magique, il s’agit de gros bon sens. Aucun des moyens (présentés dans le livre) n’a le pouvoir de guérir quiconque d’un coup de baguette enchantée. Néanmoins, ils ont tous la capacité de stimuler notre potentiel de guérison, notre médecine intérieure pour ainsi dire », a-t-il écrit en préface du livre de son ami Pierre Lessard, Éveillez votre pouvoir de guérison (éd. Le Jour), avec qui Guy Corneau animait entre autres un séminaire Vivre en santé. « Nous préférons souvent confier notre guérison à des « mécaniciens éclairés », en quelque sorte, et les blâmer s’ils échouent. Cela est injuste, car les médecins font partie d’un tout où nous avons un rôle à jouer », regrettait-il.  

 

Au-delà de la guérison physique 

 

En outre, la guérison en tant que telle n’était pas, pour lui, le graal absolu, comme il l’avait souligné en entretien : « Déjà, le mot « guérison » n’est pas juste parce qu’il sonne définitif. Personne ne guérit une fois pour toutes, puisque nous sommes tous programmés pour mourir. La santé est un mouvement, une quête perpétuelle de retour à l’équilibre. Les facteurs de dégénérescence sont là ; on peut juste les ralentir grâce à l’amitié, l’amour, la réjouissance, la créativité, la conscience de soi et du moment présent, etc. En ce sens, la maladie nous rend plus vigilants. Plus réceptifs à notre propre vie et à la vie en général. Chaque jour, je décide de mes émotions, de ma joie, de qui je fréquente, de ce que je fais ou de ce que je mange pour maintenir l’équilibre intérieur. » Aller vers le meilleur de soi, telle était donc sa devise qu’il a largement transmise dans ses écrits et enseignements ! Bien avant son livre Revivre et l’épreuve du cancer, il partageait déjà dans son très bel ouvrage La guérison du cœur (voir « À lire »), l’apport de Jung (son inspirateur) à la question du sens des symptômes, nous invitant à réunifier notre être dans toutes ses dimensions pour nous déployer pleinement. « (Jung) a observé que souvent les symptômes ont un télos, c’est-à-dire une direction », écrivait-il, faisant par ailleurs remarquer qu’en français, le mot « sens » est riche puisqu’il recouvre les notions de signification et de direction ». Poursuivant la logique de Jung, Guy Corneau y pointait le fait qu’un patient n’est pas simplement malade à cause de son passé mais aussi parce qu’il est, en quelque sorte, mal adapté à son futur. « Le patient n’est pas ce qu’il doit être pour accueillir ce qui se présente à lui, d’où conflit et blocage. Autrement dit, tout comme le rêve, le symptôme comporte lui aussi une dimension d’exploration et de prospection vis-à-vis de ce qui est à venir… L’inconscient pressent si le présent permet à l’être d’exprimer pleinement tout son potentiel dans la perspective de ce futur. Voilà pourquoi il est intéressant de considérer que les symptômes ne nous parlent pas seulement du passé, mais qu’ils relèvent aussi du présent et sont tournés vers l’avenir de l’être complet que nous sommes. » Dès lors, s’il est de première importance, selon lui, de découvrir les causes d’un problème, il est également nécessaire d’accepter sa dimension prospective, car, ce faisant, « nous nous ouvrons à de nouvelles façons de penser, de sentir et de nous comporter ». Guy Corneau observait que la plupart du temps, nous ne déchiffrons le sens prospectif d’un phénomène qu’une fois le changement amorcé. « Alors seulement, reconnaît-il, nous déclarerons qu’une maladie a changé notre vie dans le bon sens, voire qu’elle nous a sauvé ! Cela explique pourquoi de grands malades ou des gens qui ont eu une enfance pénible peuvent finir par dire qu’ils avaient besoin de ces difficultés pour parvenir à être eux-mêmes. À mesure que l’on se comprend, que l’on explore les différentes avenues où nous entraînent les symptômes, ce sens « téléologique », celui qui exprime une direction, émerge. L’obstination de la maladie se conçoit alors comme une aide précieuse qui nous force à aller jusqu’au bout du changement. Après un certain temps, la guérison physique peut même passer au second plan lorsqu’on découvre qu’il ne s’agit pas seulement de guérir son corps mais de guérir sa vie. » Au-delà de la guérison physique, il en appelait donc à la guérison psychique, spirituelle. « Même s’il n’y a pas guérison physique, il peut y avoir une guérison de l’être intérieur qui permet de faire sereinement le passage vers l’autre rive. Quand il m’est arrivé d’être au plus mal, j’ai traversé des états de béatitude qui me laissaient entrevoir que j’avais trouvé la vie dans sa plénitude. Je n’avais plus de revendications ; peu importe si je continuais d’un côté ou de l’autre. Si j’étais mort, je serais mort le sourire aux lèvres. Parce que je serais mort avec l’idée que quelque chose d’un retour à un équilibre psychique profond s’est quand même passé. »  

           

La joie qui soigne  

 

« La joie est notre nature profonde », aimait répéter Guy Corneau. Sans nier ses parts d’ombre et une sensibilité à fleur de peau, il cultivait la joie au cœur. « Un cœur heureux éloigne les médecins », m’avait-il confié en entretien. Si la joie est l’expression de notre vitalité, elle la stimule aussi. De plus en plus de recherches montrent, en effet, que les états qui entraînent une expansion joyeuse de l’être contribuent fortement à la santé. Guy Corneau, pour étayer son « hymne à la joie », s’appuyait sur les travaux des chercheurs, donc ceux du Dr Candice Pert, neuropharmacologiste à l’école de médecine de l’université Georgetown, à Washington. « Le Dr Pert a su démontrer que les émotions sont des phénomènes chimiques et que notre corps y réagit directement. Une émotion agréable entraîne une augmentation de la production d’anticorps IgA (immunoglobuline A) dans la salive, un accroissement de l’activité des cellules immunitaires NK (Natural Killer ou cellules tueuses) dans le sang et un ensemble de modifications biologiques. D’où l’importance de cultiver des affects positifs. » En conférence, en interview ou dans ses interventions vidéos, Guy Corneau ne manquait d’ailleurs jamais une occasion de mettre en évidence le rôle de son « éveil conscient dans la joie » dans sa guérison du cancer. L’une des principales « prescriptions » santé qu’il nous lègue est donc de (nous) inviter à rester proche de ce qui réjouit notre cœur. « La joie, c’est vraiment la santé ! Prenez du temps pour faire au moins une chose par jour qui vous met en joie. C’est la meilleure prévention. La santé n’est pas un but en soi, dans la vie. On est en santé pour vivre intensément, sans se détruire (sans plonger dans des compensations). La leçon de tout : c’est être joyeux sans raison ! Ne pas attendre que des événements nous rendent joyeux. Choisir cette autostimulation de la joie en soi. Il ne s’agit pas de pensée magique, de se marteler « je suis joyeux ». C’est d’abord reconnaître, savoir et comprendre pourquoi je suis triste, en colère, etc. Alors, prendre des décisions, mettre des limites. Autrement dit, mettre en place ce qui (me) permet d’avoir plus d’espace d’expression pour la joie personnelle. C’est ça aussi être joyeux sans raison : se dire, oui, je suis à l’écoute de la tristesse, de la colère, mais une fois que j’ai compris, je passe à autre chose : je choisis d’être joyeux », avait-il confié à Lilou Macé de « La Télé de Lilou », dans une vidéo-entretien (voir aussi l’exercice « Transformer ses états intérieurs »). Il insistait sur le fait que la vie n’est pas « toute-faite » ; que pour accueillir la joie, il faut pouvoir accepter sa part d’ombre, d’insécurité, de remises en question, etc. « C’est ce qui permet de rester en contact avec l’étincelle de vie. Avec soi », me confiait-il… Une « souplesse » émotionnelle dont on sait aujourd’hui, grâce aux études menées par les chercheurs en psychologie positive, qu’elle est une clé essentielle de l’équilibre psychique et, plus largement, de la (bonne) santé. L’importance de ce libre accès aux émotions campe déjà au cœur de son premier best-seller Père manquant, fils manqué, qui demeure l’un des livres les plus éclairants sur la masculinité. Il y soulignait la difficulté fréquente à (se) vivre en tant qu’homme comme un être « cadenassé », incapable d’accéder à ses émotions et leur expression, en raison de l’éducation et des injonctions de la société. Un livre qui a marqué le coup d’envoi des groupes de paroles pour hommes, dont Guy Corneau fut l’un des pionniers (voir www.reseauhommes.com).  

 

Prévenir plutôt que guérir  

 

Parlant de (sources de) joie, notre psychanalyste soulignait l’importance du contact à la nature, qui nous permet de retrouver l’unité intérieure perdue, gommant l’écart délétère entre le personnage que l’on est devenu en raison des conditionnements et l’être vrai qui cherche à s’exprimer. « Quand je passe deux heures dans la nature, durant la première demi-heure je continue à gamberger, puis je regarde la nature et elle me dégage du souci de moi-même. Elle permet de se reconnecter à une sorte d’amour inconditionnel de soi. On y est en contact avec la plénitude, avec l’air, la lumière, le biotope : avec l’abondance naturelle de la vie qui nous ramène à l’essentiel. Un essentiel qui n’a rien à voir avec le travail, l’argent ou la réussite. Je ne crois pas que l’on puisse revenir à l’équilibre sans goûter à la paix intérieure, une paix que la tranquillité de la nature peut réveiller en nous », me confiait-il… Or, si la nature peut être guérisseuse, elle fait aussi partie de la panoplie d’outils qui nous permet de prévenir plutôt que guérir – prévention qui a été l’un de ses grands chevaux de bataille. Le slogan de son livre Revivre était d’ailleurs :  « N’attendez pas d’être malade pour lire ce livre ! » Ce qui faisait dire à Guy Corneau qu’il n’est jamais trop tôt pour renouer avec son authenticité profonde et s’engager dans une manière de vivre respectueuse de la vie. « Que l’on soit malade ou en bonne santé, il est essentiel d’apprendre à lever le pied, à se retrouver. Le corps se régénère dans la détente. Un stress qui dure nous ferme et nous met en mode « combat », ne permettant pas aux cellules de se régénérer et d’éliminer les toxines. Nous avons besoin de plages régulières de ressourcement, tant pour notre santé que pour notre équilibre intérieur. » Dont acte. Enfin, Guy Corneau répétait à l’envi qu’à la fin d’une vie, la seule chose qui compte, c’est : « Quelles traces d’amour a-t-on laissées ? » Voici donc quelques traces, aussi indélébiles que fertiles. Puissent-elles s’inscrire dans le ciel de votre quotidien, de votre vie.  

 

(1) La représentation de L’Amour dans tous ses états se poursuit  au Théâtre Tristan Bernard, à Paris ; le rôle du psy ayant été repris en alternance par Thomas d’Ansembourg et Éric Aubrahn. 

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