Et si nous apprenions à douter de tout ?

Entre 1984 et 1986, j’étais étudiant en philosophie à l’Université de Namur (Belgique). Je venais de démissionner du laboratoire de physique quantique théorique où je préparais mon doctorat. Déçu d’être un prolétaire de la science, déçu de travailler sur des sujets dont je venais de découvrir qu’ils étaient financés par l’armée américaine (alors que, dans le même temps, je m’étais déclaré objecteur de conscience et je militais comme pacifiste anti-nucléaire), déçu de voir comment le monde de la recherche fonctionnait réellement. Puis, les questions posées par la physique quantique, à propos de la nature du Réel, m’avaient amené tout naturellement à me tourner vers la philosophie et plus particulièrement, vers l’épistémologie des sciences.

L’épistémologie des sciences

Le mot est lâché. Expression largement méconnue du grand public, l’épistémologie est une discipline qui étudie de manière critique la méthode scientifique, les formes logiques et les raisonnements utilisés en science, de même que les postulats et les hypothèses sur lesquels les scientifiques se fondent pour élaborer leurs théories. Le but de l’épistémologie, c’est d’évaluer la pertinence, la portée universelle et la valeur de la démarche scientifique. En tant qu’étudiant en sciences, j’ai eu l’immense privilège de recevoir des cours d’épistémologie et de critique des sciences dès ma première année d’étude universitaire ! Ce fut pour moi à la fois un choc et un ravissement.
Ce fut un choc, parce que je découvrais brutalement, à 18 ans, que la démarche scientifique n’était pas la recherche désintéressée du savoir et de la connaissance. Je découvrais que la plupart des recherches menées en laboratoire étaient financées par le complexe militaro-industriel. Je découvrais, par conséquent, que la science était avant tout orientée vers la quête du pouvoir et de la suprématie militaire, dans un contexte de guerre permanente entre les nations. Ce n’était que bien plus tard que certaines applications militaires étaient recyclées et mises à disposition du grand public. Je découvrais encore que les résultats des recherches, quand ils ne répondaient pas aux attentes, étaient soit falsifiés, soit interdits de publication, afin de ne pas nuire aux intérêts de ceux qui avaient financé les recherches…
Ce fut en même temps un ravissement, sur le plan psychique et spirituel. Je ressentais à quel point la démarche épistémologique faisait de moi un être humain libre et responsable. J’apprenais à penser par moi-même, à construire et à articuler une pensée critique, à ne pas prendre pour vraie n’importe quelle affirmation ! Je ressentais à quel point Rabelais avait raison lorsqu’il s’écriait que « Science sans conscience n’était que ruine de l’âme ». Parce que c’était bien cela, l’enjeu pour moi : ne pas ruiner mon âme, ne pas vendre mon âme au diable pour défendre des intérêts économiques, géostratégiques ou militaires !
Ainsi donc, en septembre 1984, j’entrais à la Faculté de Philosophie et Lettres. À la même époque, je vivais ce que j’ai appelé, dans une de mes premières chroniques, un bouleversement épistémologique (voir Néosanté n° 2). Je venais de consulter pour la première fois André, un médecin homéopathe bruxellois, qui m’ouvrait les portes d’un nouveau continent : celui de la pensée globale en médecine. La concordance de ces deux événements dans ma vie (nouvelles études en philosophie et découverte de l’homéopathie) m’ont amené, tout naturellement, à me passionner pour l’épistémologie de la médecine, sujet qui m’occupe encore aujourd’hui, près de trente ans plus tard…

De l’inaccessible vérité…

Au fil des années, j’ai acquis la conviction profonde que TOUTES les démarches humaines, et par conséquent TOUTES les théories médicales devaient être remises en question. Pas pour des raisons de contenu théorique, mais simplement parce que la Vérité, avec un grand « V », ne sera jamais accessible à aucun être humain. C’est le philosophe René Descartes qui m’a convaincu de cette réalité : la Vérité ne nous sera jamais accessible, non pas à cause de la limitation de nos moyens intellectuels ou techniques, mais à cause de notre réalité ontologique qui fait de notre incarnation la source-même de cette impossibilité.
En étudiant les fondements de la physique quantique, j’avais déjà compris que personne au monde ne pouvait répondre à cette question pourtant simple (en apparence) : « Qu’est-ce que le Réel ? » Aucun physicien au monde, même parmi les plus célèbres prix Nobel, n’a jamais pu apporter une réponse à cette énigme. Mieux. Comme l’ont démontré Heisenberg et Schrödinger, chacun à leur manière, le Réel échappera toujours à nos tentatives de le connaître entièrement et précisément… Non pas que nos appareils de mesure et que nos instruments de pensée soient limités. Non. Ça fait partie de la nature intrinsèque du Réel de toujours se dérober à notre connaissance. Parce que nous sommes incarnés. Et en tant qu’êtres incarnés, nous faisons partie intégrante du monde dont nous devons concevoir l’essence, ce qui est impossible, puisque pour faire cela, il faudrait que nous soyons extérieurs au monde. En démontrant cela, la physique quantique mettait fin à notre prétention de penser et de comprendre le monde en tant qu’observateur extérieur et indépendant du système qu’il observait.
Lorsque j’ai étudié René Descartes, j’avais un a priori négatif à son égard. En effet, à cette époque, je le tenais comme le grand responsable du rationalisme occidental qui, du haut de son insolence orgueilleuse, croit pouvoir contrôler et dominer la matière. Je le considérais également coupable de nous avoir inculqué cette sale habitude de tout analyser, de tout découper, de tout séparer, pour comprendre et maîtriser la réalité. Moi qui venais de découvrir une approche globale du corps humain, je trouvais cela d’autant plus détestable que la médecine soit à ce point compartimentée entre tellement de spécialités différentes qui ne communiquaient pas entre elles ! Je lui en voulais également d’être à l’origine de ce paradigme médical qui transformait les êtres humains en organes malades isolés les uns des autres et déconnectés de leur réalité émotionnelle.

… au doute systématique !

Bref. Avant même de rencontrer sa pensée, j’étais très remonté contre lui ! Jusqu’à ce que je découvre que je ne le connaissais pas. Car si Descartes a dit « Je pense, donc je suis », j’ignorais que cette affirmation résultait d’un cheminement très audacieux de sa part. Cherchant à fonder sa pensée sur des bases solides, Descartes a poussé aussi loin que possible la méthode du doute systématique. Selon lui, non seulement nous devons douter de tous nos préjugés acquis par l’éducation et par les lectures, mais nous devons douter également de ce que nous apprennent nos sens, puisque nos perceptions peuvent être faussées par diverses illusions… Et Descartes de poser la question : « Se pourrait-il que nos sens nous trompent tout le temps, comme dans le rêve ou la folie ? »
À partir de là, le philosophe en arrive à une conclusion étonnante, mais combien salutaire pour la pensée humaine. Il affirme qu’en fin de compte, il ne peut être sûr de rien, qu’il doute de tout, systématiquement. C’est alors qu’un éclair de conscience traverse son esprit. Mais alors dit-il, « tandis que je doute, je sais que j’existe, car s’il y a un doute, c’est qu’il y a nécessairement quelqu’un qui est là pour douter ! » Autrement, si je suis conscient que je doute, c’est la preuve indubitable que j’existe. Il serait donc plus juste de dire « Dubito, ergo cogito, ergo sum » (je doute, donc je pense, donc je suis).
Je vous entends déjà, chers lecteurs, me demander : « Où veux-tu nous emmener avec tes réflexions philosophiques ? Quel rapport concret tout cela a-t-il avec notre recherche du sens des maladies ? En quoi tout ce charabia intellectuel peut-il nous être utile dans notre souci à nous garder en bonne santé ou dans notre effort à nous guérir de ce qui nous affecte ? »
C’est là que je vous demande de me faire confiance et de faire preuve de patience. Car dans les prochains articles, j’aimerais vous apprendre patiemment à douter de toutes les informations que l’on vous donne en matière de santé et de maladie. Que ces informations viennent de la médecine officielle, qu’elles soient issues des médecines parallèles ou qu’elles soient véhiculées par la Biologie Totale ou la Médecine Nouvelle.
Avec près de trente années de recul, je suis convaincu de la nécessité vitale de douter pour avoir une chance de guérir. Que vous soyez thérapeute, médecin ou malade, la certitude absolue ne peut mener qu’à la catastrophe, pour de nombreuses raisons. Et contrairement à ce que clamait haut et fort Claude Sabbah, la certitude absolue de guérison n’a jamais guéri personne. Bien au contraire ! Que ça déplaise ou non aux défenseurs des médecines parallèles et des travaux du docteur Hamer, le doute et la remise en question systématique des lois et des principes énoncés sont la seule option soutenable à long terme, si nous ne voulons pas tomber dans le même travers du dogmatisme scientifique que nous dénonçons par ailleurs. Or, j’observe jusque dans les pages de Néosanté, cette même tentation de se poser en détenteurs de la Vérité contre l’obscurantisme de la science officielle. En agissant de la sorte, tout système de pensée (même scientifique ou médicale) devient une religion intégriste. Avec pour conséquence la perte de notre libre arbitre et l’impossibilité de se guérir en accord avec la nature… Rendez-vous donc le mois prochain pour commencer notre chasse salutaire aux intégrismes médicaux de tous les camps…

Jean-Jacques Crèvecoeur

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