Édito n°61

Se retrouver en bonnes postures

Comme je vous l’ai déjà raconté, j’ai énormément souffert du dos il y a une trentaine d’années et c’est la chiropraxie qui m’a sauvé de mes lumbagos à répétition. Le jour où il a estimé que j’étais apte à faire l’exercice, mon chiropracteur m’a demandé de ramasser un objet qu’il avait déposé à mes pieds. Flairant le piège, je me suis souvenu de la recommandation enseignée dans les « écoles du dos » de certains hôpitaux et j’ai plié complètement les genoux pour rapprocher mes mains du sol et soulever la charge. « Tu as tout faux, s’est amusé mon thérapeute, il vaut bien mieux faire comme les jardiniers d’antan et te pencher en pliant les hanches ». Bon sang, mais c’est bien sûr ! Comment avais-je pu oublier ça ? Lorsque j’étais enfant, j’avais un vieux voisin qui passait toutes ses journées dans son potager et qui a cultivé son lopin de terre jusqu’à un âge très avancé. Il était sourd comme un pot mais il bêchait et binait ses plates-bandes sans effort apparent. Et quand il repiquait ses poireaux ou arrachait ses oignons, il adoptait effectivement la position décrite par mon chiro : les jambes écartées et les genoux légèrement fléchis, il descendait et remontait le torse sans le courber, rien qu’en se servant de ses hanches. Comme tous les paysans du monde depuis des millénaires ! Après cette séance chiropratique pédagogique, j’ai retenu la leçon et je ne me suis plus jamais occasionné un tour de reins en sollicitant mes vertèbres lombaires. Et depuis lors, je me méfie encore plus d’une médecine classique pas même capable de prodiguer les bons conseils pour prévenir les maux de dos.

Il est vrai que cette dernière a des circonstances atténuantes. Pour adopter la bonne posture, encore faut-il songer à mettre son bassin en antéversion, c’est-à-dire à le projeter en avant pour mieux se cambrer. Une légère cambrure est la position naturelle de la colonne vertébrale chez l’être humain. Or, dans nos sociétés modernes, on fait tout le contraire et on privilégie la rétroversion du bassin, avec le pubis poussé vers l’avant. Comme le souligne Emmanuel Duquoc dans notre dossier du mois (Lire pages 6 à 12), cela commence dès la naissance en mettant les bébés dans des sièges très pratiques pour les parents mais peu respectueux de la physiologie des nouveau-nés. Et ça continue lorsque ces mêmes parents incitent leurs enfants à se tenir droits au mépris de la lordose idéale, ou lorsque que l’école oblige les élèves à se tenir figés sur un mobilier peu adapté favorisant également le maintien rétroverti. Et que dire de la tragédie posturale qui se déroule dans les toilettes occidentales ? Via sa rubrique « Naturo pratique » mensuelle, Emmanuel Duquoc vous a déjà expliqué que notre façon de déféquer en angle droit était la plus antinaturelle qui soit, et la moins propice à un bon transit intestinal. Les deux tiers de l’humanité sont à cet égard mieux lotis puisque l’absence de trône les contraint à se soulager en position accroupie, bien plus favorable à la vidange des intestins. Dans de nombreux pays pauvres, on mange aussi accroupi. Et parmi les peuplades dites « primitives », c’est également le choix de position que font les femmes au moment d’accoucher. Spontanée chez les jeunes enfants, cette manière de s’asseoir est assurément un patrimoine humain immatériel qu’il faudrait réhabiliter d’urgence en Occident pour y enrayer l’épidémie de dorsalgies. Certains praticiens de santé naturelle s’y emploient en remettant à l’honneur les « postures primales » inspirées de la nature. Mais on part de très loin et le « modèle paléo » est encore trop peu populaire pour espérer une rapide évolution sanitaire. C’est bien d’envoyer des milliers de médecins par delà nos frontières pour parer aux situations d’urgence. Ce serait encore mieux d’en profiter pour ramener chez nous des experts posturaux tels que des yogis hindous, des enseignants d’arts martiaux orientaux, des mamas africaines ou… des riziculteurs chinois. Dans ce domaine, le Nord a tout à (ré)apprendre des traditions du Sud et de l’Est !

Grâce au dossier d’Emmanuel, j’ai d’ailleurs appris qu’une discipline japonaise reliée à l’aïkido avait des siècles d’avance sur nous : elle permet de « lire les postures » et d’y décoder des influences psychosomatiques inconscientes. Pour ses praticiens, toutes les tensions corporelles sont liées à des traumatismes anciens et même à des mémoires transgénérationelles. Il convient alors de travailler les attitudes du corps pour soigner l’esprit et y résoudre des problématiques engrammées de longue date. Cela rejoint merveilleusement bien le « credo » de la revue Néosanté, à savoir l’unité indissociable de la psyché et du soma (lire à ce sujet l’interview d’Siabelle Filliozat en pages 13 à 15) . Tout comme les psychothérapies peuvent aider à guérir des maladies somatiques, les approches purement corporelles (nutrition, activité physique, techniques manuelles…) ou psychocorporelles (yoga, bioénergie, arts internes, eutonie, méthodes Feldenkrais ou Alexander…) peuvent contribuer à solutionner les conflits psycho-émotionnels. Le point de rencontre entre l’âme et la matière, c’est précisément la posture. Toute la noblesse d’un être, sa dignité et sa droiture s’expriment dans son aptitude à se tenir droit sans rigidité. Sa santé aussi repose sur le subtil équilibre entre force et souplesse, enracinement et libre mouvement. La bonne nouvelle, c’est que les bonnes postures peuvent s’acquérir et se retrouver.

Yves Rasir

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