Accueillir la mort : un chemin guérisseur

Et si la mort détenait un pouvoir guérisseur ? Depuis trente ans, un nombre grandissant de personnes l’ayant frôlée, ayant vécu des expériences de mort imminente ou accompagné des mourants, en témoignent : la proximité de la mort a provoqué une transformation de leur conscience. Dans certains cas, ce retournement est assorti d’une guérison physique. Dans d’autres, d’un infléchissement du parcours de vie. Le plus souvent, c’est la fin de la peur, une meilleure connexion à soi-même et un changement de priorités vers des comportements plus altruistes. Parfois, de nouvelles capacités émergent. On ne revient jamais tout à fait le même de la confrontation avec l’échéance. Et quand la mort frappe définitivement, c’est parfois l’entourage qui guérit. Nous avons enquêté sur ce domaine peu investi par la science mais qui suscite une abondante littérature.

Par Emmanuel Duquoc

Guatemala, 2006. Elise Ferran, 24 ans, étudiante en anthropologie, venue étudier des sites archéologiques en préparation d’une thèse de doctorat, chemine seule sur une route de terre. Soudain, deux jeunes Mayas l’abordent puis se saisissent violemment  d’elle : « On fait l’amour ou on te tue ! ». Le ciel s’écroule. La jeune femme se débat de toutes ses forces au cours d’interminables minutes où les deux hommes lui répètent en boucle des menaces de mort. Epuisée, Elise capitule. Mais au moment où elle s’apprête à vivre le pire, elle se voit épargnée… sauvée par le sang de ses règles. Traumatisée, Elise l’est assurément et voit flamber l’eczéma dont elle souffre depuis l’adolescence. Mais cet évènement marque le début d’un chemin initiatique qui la mènera à la guérison. Sous l’effet du choc, Elise a en effet pris conscience que la mort peut frapper à tout moment et cela change tout : « Tout ce à quoi j’avais donné tant d’importance dans ma vie n’était que du vent. Plus que la mort en tant que telle, ce qui m’a terrifié en cet instant est de réaliser que je n’avais pas vécu. »
L’imminence de la mort transforme l’existence
Elise réapprend alors à s’écouter. À crier sa souffrance tout d’abord auprès d’amis bienveillants, puis d’une psychothérapeute. Laquelle lui proposera de questionner son corps en entrant en connexion avec lui.Elise s’accorde enfin de la douceur. Elle accepte de mettre entre parenthèses son travail quand son corps réclame du repos. « Cette femme cartésienne, forte, un sourire permanent aux lèvres, voulant à tout prix gérer ses émotions pour ne pas importuner les autres, ce n’était pas moi ! » Viendra ensuite le temps du contact avec les dimensions subtiles : initiation chamanique, yoga, biodanza, sans oublier les soins naturels et l’EMDR pour nettoyer l’impact des chocs traumatismes endurés. Deux ans de convalescence pour une guérison totale qui la laisse émerveillée et résolue à rester en contact avec elle-même. « L’imminence de la mort a transformé mon existence. Jusqu’à ce moment, je n’avais pas encore rencontré la vie. Je vivais dans un rêve, une projection de ce que je souhaitais que ma vie devienne, et non la réalité de ce qu’elle était déjà. Il me manquait le contact organique avec cette chose qui palpite en nous et possède d’immenses pouvoirs de guérison. Ma rencontre prématurée avec la mort a été un cadeau du ciel. »

L’acceptation qui change tout

« Reconsidérer la maladie, le drame, pour les vivre comme une chance est l’un des points communs des guérisons exceptionnelles », estime Alain Moenaert, un psychothérapeute qui a recueilli pendant vingt ans les témoignages de dizaines de personnes guéries à l’encontre des pronostics médicaux. « Ce retournement est souvent le couronnement d’un profond processus intérieur ». C’est précisément ce qui est arrivé à Marie-Hélène Gérôme quand, début 2013, elle a reçu un diagnostic de cancer du sein. Pour cette Belge, la nouvelle sonne comme une sentence de mort. D’autant plus que le chirurgien qu’elle a consulté commence par refuser de l’opérer devant son souhait de ne pas suivre une radiothérapie et une hormonothérapie. « J’ai vu que j’étais seule avec ma maladie ». Dès lors, tout son cheminement aura pour but de retrouver la sérénité. Pour commencer, elle multiplie les séances d’EMDR afin  de lâcher notamment le traumatisme de la nouvelle.Heureuse stratégie, semble-t-il, puisqu’au moment de son opération chirurgicale, le nodule cancéreux a diminué de moitié. « Trouver un endroit de paix en soi où l’on est d’accord de mourir, l’accepter profondément, ça change tout ! Si je ne me préoccupe plus de mourir, alors je peux commencer à vivre. » Ce qu’elle fait en prenant en compte son corps qui lui dit clairement ce qui lui convient ou non. « Quand il est d’accord, je sens de la joie. Quand il ne veut pas, c’est comme une envie de vomir ». Guidée par cette écoute intérieure, elle opère un tri entre les diverses approches thérapeutiques qui s’offrent à elle. Aujourd’hui, toute trace de cancer a disparu. « Non seulement je me sens en forme, mais surtout, j’ai une joie que je n’avais pas avant d’être menacée. La perspective de mourir m’a amenée à cheminer pour enlever ce qui était au-dessus de ma joie. »

La « résurrection » d’Anita

Si ces cas de guérison hors-statistiques n’ont que très peu fait l’objet de recherches scientifiques, ils suscitent une abondante littérature grand public. Les bacs des libraires regorgent de livres, souvent des best-sellers, relatant ces parcours de guérison exceptionnels suite au contact avec la mort et à son acceptation inconditionnelle. L’attente en la matière est grande. Car ceux qui ont vu la mort de près semblent en revenir avec une sérénité contagieuse, comme Anita Moorjani qui a publié en 2012 un témoignage exceptionnel sur son expérience de mort imminente, Dying to be me (traduction française : Mourir pour vivre). Le 2 février 2006, cette indienne résidente à Hong-Kong a été amenée, inconsciente, dans une clinique de traitement du cancer quatre ans après un diagnostic de cancer lymphatique métastasé. La famille, prévenue qu’elle vit ses derniers instants, s’est réunie autour de la jeune femme au corps déformé par une série de tumeurs grosses comme des citrons. Selon l’équipe médicale, il ne lui reste que 36 heures à vivre au maximum. En état de mort clinique, elle est placée sous respirateur artificiel. Son mari, qui ne la quitte pas, chuchote inlassablement à son oreille pendant des heures : « Reviens, reviens, reviens ». C’est alors que contre toute attente, Anita Moorjani ouvre les yeux… Stupéfaction des proches puis des soignants qui accourent. Notamment le médecin de service qui l’a accueillie, inconsciente, lors de son arrivée à l’hôpital : 

Bonjour Docteur Chan !

Comment savez-vous mon nom ?

C’est vous qui m’avez reçue quand je suis arrivée.

Tandis qu’Anita était plongée dans le coma, elle affirme être demeurée dans une présence parfaite à ce qui se passait autour d’elle : « J’étais simplement dans ce très bel endroit », racontera-t-elle par la suite. « C’était fascinant ! J’étais consciente que ma famille allait être dévastée par ma mort. Je me sentais pourtant si bien ! Tellement libre de toutes ces douleurs endurées pendant des années ! » Pendant sa perte de conscience, Anita s’est sentie baignée d’un amour inconditionnel impossible à décrire. « Et le mot amour ne rend pas justice à ce sentiment que j’avais d’être enfin chez moi ». Dans cet état, non seulement elle entend les conversations, mais elle lit également les pensées et sentiments des personnes vers lesquelles elle dirige son attention. C’est ainsi qu’elle comprend que son mari mourra de désespoir si elle meurt. Dans cet état d’hyper-conscience, elle perçoit en effet les événements comme s’ils se produisaient tous dans un éternel présent : « J’envisageais ma mort et dans l’instant même, je voyais ma famille anéantie par l’événement. » Anita accède aussi à la compréhension de la cause de sa maladie : « Le cancer était l’aboutissement de ce que j’avais été jusque-là. J’ai toujours été très peureuse. Tout ce que j’avais fait dans ma vie, je l’avais fait par peur et non par amour pour moi-même. Je comprenais que c’était la cause de blocages corporels qui aboutissaient à ce cancer dont je mourais. » Anita ressent également la présence de son père, décédé dix ans plus tôt. « Je veux que tu repartes. Retourne vivre ta vie sans peur. » Anita a alors la certitude qu’elle guérira rapidement et totalement. Elle sait qui elle est et quel est son but dans la vie. Son corps reflétera la vérité de ce qu’elle est. C’est alors qu’elle sort du coma. Ses organes se remettent à fonctionner. Deux jours après, la jeune femme n’a plus besoin d’assistance respiratoire. Les tumeurs régressent et au bout de quelques semaines, les examens médicaux ne décèlent plus aucune trace de cancer. Médicalement, son rétablissement est inexplicable. Anita est revenue guérie de la mort.

Le paradis d’Eben

Cas unique ? Chaque année, ils sont des dizaines de milliers à faire un tel aller-retour et à en garder un souvenir inoubliable. Les progrès de la réanimation  aidant, de plus en plus de personnes reviennent d’un arrêt cardiaque. Une partie traverse une EMI, laquelle est souvent assortie d’un rétablissement rapide, voire d’une guérison inexplicable, comme celle d’Anita Moorjani ou du désormais célèbre Eben Alexander. En 2008, ce neurochirurgien de Boston est atteint d’une méningite bactérienne foudroyante. Rationaliste, il a été élevé dans la conviction que la conscience émane du cerveau. L’expérience qu’il va vivre va le persuader du contraire. Apparemment inconscient, le médecin devenu patient se retrouve doté de perceptions infiniment plus aiguisées qu’avant sa maladie. Son coma durera sept jours, au cours desquels il fera notamment l’expérience de ce qu’il ne peut nommer autrement que le paradis.  A son retour, partiellement amnésique, il se laisse convaincre par ses confrères que son aventure n’est qu’une hallucination générée par le piteux état de son cerveau… Jusqu’au moment où il examine les scanners cérébraux et les analyses réalisés pendant son coma. « Un tel cerveau était hors d’état. En tant que neuroscientifique, je sais qu’un organe aussi endommagé est dans l’incapacité absolue de générer la moindre hallucination ni la moindre pensée. Mon expérience avait donc eu lieu en dehors de son cerveau. C’est à ce moment que j’ai compris qu’elle était réelle ». Tout aussi réelle que sa guérison physique, intervenue alors même qu’Eben Alexander était, d’un point de vue médical, condamné à mourir, ou, dans le meilleur des cas, à demeurer en état végétatif pour le reste de son existence. Depuis, l’ancien sceptique est devenu un défenseur international de la réalité des expériences de mort imminente et de leur pouvoir guérisseur.

La guérison « miraculeuse » de Sarah

Un pouvoir qui ne se manifeste pas nécessairement immédiatement, comme en témoigne Sarah Auguste, que nous avons rencontrée cette année. A soixante-cinq ans, cette femme tonique rayonne d’une légèreté communicative. Son attitude insouciante, elle l’attribue à sa rencontre avec la mort. Il y a douze ans en effet, Patricia a eu un diagnostic de cancer du sein. Traitée au départ par opération chirurgicale, chimiothérapie puis radiothérapie, elle décide malgré la persistance de métastases de l’arrêter. En 2006 elle subit un infarctus. Les pompiers et le médecin, arrivés peu après, constatent le décès… Avant de voir Sarah reprendre conscience. Elle dit avoir fait un rêve. En fait, une EMI complète qui entrainera une série de prises de conscience. « J’ai ressenti à quel point j’avais fait de ma vie un tissu de contraintes. Je devais quitter ma maison. Je devais mettre fin à la relation avec mon mari. Elle n’était pas basée sur l’amour. J’en avais conscience, mais je ne l’ai pas fait. Par peur… » Son rétablissement semble rapide mais des examens complémentaires révèlent un rétrécissement de ses artères coronaires. Une intervention est prévue en août 2007. La nuit même de son hospitalisation, elle subit un nouvel infarctus. Elle vit alors une nouvelle expérience extrêmement douloureuse dans un état semi-conscient. Ce n’est qu’à la suite de ce second accident cardiaque qu’elle mettra en actes ses prises de consciences précédentes. Sitôt ses affaires réglées, à peine remise sur pieds, elle part faire le pèlerinage de saint Jacques de Compostelle. « Sept semaines à pied. Je savais au fond de moi que je reviendrais totalement guérie. » A son retour, de nouveaux examens médicaux confirment son pressentiment : Disparition totale des métastases et normalisation de ses artères coronaires. «Ma guérison  attendait des actes pour se manifester ». Depuis Sarah continue de marcher. « J’ai perdu toute peur de la mort et j’ai le goût de vivre. »
La transfiguration de Marie
Dans d’autres cas, en plus d’un rétablissement exceptionnel, c’est une reprogrammation de la personne qui semble s’opérer à la suite de l’EMI. C’est ce qui est arrivé à Marie de Solemne en 1982, après qu’elle ait passé sept jours dans le coma à la suite d’une fracture de l’occipital gauche avec trauma crânien et œdème lors d’un accident de cheval. Non seulement elle a retrouvé des facultés sensorielles intacte – on l’appelait la miraculée dans le service hospitalier où elle avait été accueillie – mais ses capacités cognitives se sont retrouvées décuplées. Rétive aux études avant son accident, vivant « comme un animal » selon ses propres termes, elle s’est passionnée pour la connaissance au point de passer plusieurs diplômes universitaires de haut niveau en seulement cinq ans. Ces capacités d’apprentissage étaient devenues hors-norme. La raison qu’elle invoque, c’est que, lors de son EMI, une entité spirituelle lui a fait prendre conscience de sa mission. Elle devait beaucoup apprendre pour légitimer sa nouvelle connaissance  et ainsi pouvoir aider son prochain. De retour dans son corps, elle recevait par intuition des instructions de l’entité qui l’avait accueillie dans l’au-delà. Comme par exemple de se rendre dans une bibliothèque, lieu qu’elle ne fréquentait jamais dans sa vie précédente, et de se saisir « au hasard » d’un volume : Un livre du philosophe Jankélevitch, auteur de « La mort ou l’expérience de l’impensable ». Surprise ! Elle comprend aisément le propos ardu du philosophe. Certes, ces nouvelles dispositions ont un coût : celui de l’amitié. Le réseau des copains se délite, au profit d’une solitude assumée et de nouvelles relations. Marie de Solemne n’est tout simplement plus la même. Finie la relation de domination avec le cheval, bienvenue le soin à autrui et les aux sciences humaines. Comme si son contact avec la mort l’avait reprogrammée. Auteur de plusieurs livres, elle exerce en tant que  psychothérapeute. Ses nouvelles capacités intellectuelles lui avaient-elles été données pour servir un dessein spirituel ?

Les « revenants » ont une  mission de vie

Médecin de l’unité mobile de soins palliatifs de l’hôpital de Rambouillet, Constance Yver-Elleaume  donne un point de vue singulier sur la manière dont ceux qui ont côtoyé la mort reviennent. Pour elle, si statistiquement, ceux qui sont vécu des EMI récupèrent généralement mieux que les autres, les conditions de leur retour ne correspondent  pas toujours à la conception habituelle d’un bon rétablissement. « Ils semblent plutôt dotés de ce qu’il leur faut pour accomplir leur mission de vie. Celle dont elles ont pris conscience lors de leur expérience. Et si l’un verra fleurir de nouvelles facultés, un autre peut rester paraplégique. Dans la conscience terrestre ordinaire, il s’agit de séquelles, mais du point de vue de la mission contactée dans l’au-delà, ce peut être absolument parfait. » Handicapé pour accomplir une mission ? C’est l’avis de Philippe Pozzo di Borgo, l’homme qui a inspiré le personnage principal du film Intouchables, cet immense succès populaire mettant en scène un homme d’affaires devenu tétraplégique à la suite d’un accident de parapente et son voyou d’auxiliaire de vie, son « diable gardien »  comme il dit.  « Les « fragiles » ont un rôle important à jouer », affirme-t-il.  Ils déstressent les valides ! La fragilité induit de la cohésion, de l’écoute, de l’attention. Dans l’entreprise, la présence d’un collègue fragile donne du sens aux mots engagement et effort ». Pour l’ancien dirigeant des Champagnes Pommery, l’intégration des handicapés à grande échelle dans le milieu de l’entreprise serait même favorable à la performance économique…
Les EMi sont amies de la santé
Et que dire de la santé à long terme des « expérienceurs » ? « Il n’y a pas eu d’études sur le sujet », confie Jean-Jacques Charbonnier, anesthésiste-réanimateur dans une importante clinique de Toulouse  qui s’est rendu célèbre en relatant dans plusieurs best-sellers les récits de personnes revenues d’un état de mort clinique. « En revanche, une recherche faite à l’université de Princeton  a montré que les personnes qui croient en une vie après la mort ou en Dieu ou bien pratiquent une religion, ont une immunité – mesurée par dosage des lymphocytes T4 – renforcée et une espérance de vie prolongée. Or, je n’ai jamais croisé d’expérienceur ne croyant pas en une vie après la mort. » Quand on connaît les effets du stress sur la santé, il y a presque de quoi envier ceux qui ont fait l’aller-retour. D’autant plus que ceux qui ont eu un aperçu de l’au-delà reviennent bien souvent guéris d’une autre source majeure de tourment : le matérialisme. « Au contraire, ils sont animés par un fort désir de faire le bien, d’aider les autres. Et bien que rassurés quant à la perspective de mourir, ils ont envie de profiter de la vie. » Altruisme, sérénité, envie de vivre, autant d’attitudes mentales favorables à la santé mentale et physique.En revanche, il demeure une chose contre lesquels les expérienceurs ne sont pas immunisés : la peur de souffrir.
La conscience en dehors du cerveau ?
Reste la question de la réalité de l’expérience. Si pour ceux qui l’ont traversée, celle-ci ne fait aucun doute, il reste de nombreux scientifiques à considérer que ces souvenirs sont le fruit d’hallucinations. Mais des professionnels de la réanimation alertés par les récits des personnes à leur retour d’une mort clinique ont tout de même contribué au rassemblement d’éléments de preuves. Dans ce registre, on notera la très rigoureuse étude AWARE (2)), menée par le chercheur new-yorkais Sam Parnia auprès d’une quinzaine d’hôpitaux afin de recueillir des témoignages des personnes réanimées d’un arrêt cardiaque et confirmer ou non la réalité des expériences hors du corps. Dans les services concernés, des objets ou images « cibles » étaient disposées en hauteur, de manière à n’être visibles que du dessus. On espérait qu’une personne réanimée reviendrait en décrivant l’image cible. Or, depuis le début de l’étude, aucune cible n’a en effet été perçue par les 241 patients réanimés et interrogés suite à un arrêt cardiaque. En revanche, l’un d’entre eux, un anglais de 57 ans a affirmé être sorti de son corps et avoir observé la scène de sa réanimation depuis un coin du plafond. Il a décrit de façon précise les faits, gestes et paroles de l’équipe médicale, de même que les sons émis lors de l’utilisation du défibrillateur automatisé externe. Tous ces éléments ont été confirmés par l’équipe médicale. D’un point de vue scientifique, accepter la réalité des expériences hors du corps reviendrait à considérer que la conscience existe en dehors du cerveau, ce dernier agissant comme un filtre pour cette dernière. Une révolution dans notre perception de la vie et de la mort à laquelle tout le monde n’est pas prêt… Au service d’oncologie médicale et de soins palliatifs de l’hôpital de La Timone à Marseille, on se garde bien d’adopter une position tranchée sur le sujet, ne serait-ce que pour laisser les malades libres de vivre leur propre expérience.
Des récits qui rassurent

En revanche on prend acte de l’aspect rassurant des témoignages d’EMI pour les malades. « Nous avons réalisé un feuillet de dix pages avec un résumé des recherche pro-NDE et contre – NDE », expose Eric Dudoit, psycho-oncologue du service. « Et on soumet ça à la sagacité des patients. Certains sont convaincus. D’autres nous regardent du coin de l’œil, l’air de dire « Eh ! Les gars, on ne me la fait pas… ». Mais au moins, on propose un mythe urbain, c’est-à-dire quelque-chose qui nous fonde et permet de dépasser la peur. L’idée n’est pas de prouver quoi que ce soit sur les EMI mais de proposer quelque-chose qui apaise. » Car il n’est pas indispensable de vivre une expérience de mort imminente pour bénéficier de son côté rassurant. Kenneth Ring, ancien professeur de psychologie à l’université du Connecticut, l’un des chercheurs américains spécialistes de la question l’affirme : « Quand on lit des lit des témoignages sur les EMI, on obtient un impact significatif sur le syndrome anxieux-dépressif. » « Les récits des expérienceurs sont profondément rassurants », confirme le Dr Jean-Jacques Charbonnier. « Combien de lecteurs m’ont fait part de leur apaisement face à l’idée de mourir après avoir lu mes livres ? » C’est que pour Eric  Dudoit, la spiritualité est un besoin essentiel de l’humain, au même titre que le boire, le manger, la sécurité… « Dans nos services, où se pose la question de la maladie et de la mort, elle est plus vitale que partout ailleurs. »
Une transmission d’énergie

La spiritualité, c’est un peu le fil rouge du livre publié cette année par le Dr Constance Yver-Elleaume,( « Apprivoiser le dernier souffle ») dans lequel elle relate des moments forts de son activité au sein de l’unité mobile de soins palliatifs de l’hôpital de Rambouillet.L’immense bénéfice de côtoyer les grands malades, ceux que la mort va peut-être bientôt accueillir, est aussi transversal dans son récit : « Ceux qui vont mourir nous font un immense cadeau », témoigne-t-elle.Depuis sa propre expérience tout d’abord : « À de nombreuses reprises, mon travail est physiquement éprouvant. J’ai pourtant beaucoup d’énergie. Ce ne peut être que parce que j’en reçois plus que je n’en donne aux patients que j’aide ! » C’est ainsi qu’un jour, elle a formulé, à l’adresse d’une de ses patientes,  aphasique et paralysée de la moitié du corps : « Vous incarnez, pour autrui, un cadeau de la vie… Par votre dépendance même. »
Et en termes de santé publique ? Peut-on imaginer un recul de la morbidité générale du fait d’un développement de l’accompagnement des mourants ? Constance Yver-Elleaume en est convaincue. « Quand l’existence devient fragile, les personnes continuent d’être pleinement. » Laperte des facultés physiques et même cognitives serait toujours l’occasion d’une connexion plus étroite, qu’elle soit consciente ou non, avec une dimension plus vaste. « Si l’on accueille ces dimensions de retrait et de spiritualité. Si l’on cesse de considérer la fin de vie comme un drame absolu, alors, c’est de l’énergie qui ne sera plus gaspillée dans ce refus… Un gain d’énergie de vie énorme. La santé mentale et physique des gens en sera améliorée. » 

Les mourants font grandir les vivants

Evidemment, pas facile de mettre des chiffres sur ce genre de considérations. Mais Constance Yver-Elleaume, dans la lignée de célèbres pionnières de l’accompagnement des personnes en fin de vie comme Elisabeth Kübler-Ross ou Marie de Hennezel, en est convaincue : « Les derniers instants d’un mourant peuvent guérir les proches. » Un jour, dans son unité de soins palliatifs, elle a reçu une femme agonisante dont le mari, guadeloupéen,  avait des tendances suicidaires. Contre toute attente, cette femme ne mourait pas. Son conjoint ne pouvait se résoudre à la perdre et pensait sérieusement au suicide si elle disparaissait. Au bout de longues semaines d’agonies, trois mois en tout, l’homme, enfin, a projeté de retrouver les siens en Guadeloupe et repris goût à la vie. C’est alors que son épouse est décédée. « Cet homme s’est relié à son propre noyau. Pendant trois mois, cette femme a attendu que son mari reprenne pied dans l’existence avant de lâcher prise et de se laisser partir. » Que ce serait-il passé si la mort était intervenue dès l’admission en soins palliatifs ou si on l’avait aidé à mourir ? « Un suicide, selon toute probabilité », assure Constance Yver-Elleaume. « Quand quelqu’un meurt, il n’est pas rare qu’il accompagne en quelque sorte ceux qui survivent jusqu’à leur autonomie. D’une certaine manière, les mourants poussent leur entourage à grandir. » De fait, soulager la souffrance physique, accompagner la fragilité, le handicap ou la fin de vie, c’est aussi proposer une alternative au suicide assisté et à l’euthanasie.  « Par ailleurs, Il n’est pas rare de rencontrer des patients terrorisés à l’idée qu’on puisse hâter leur fin comme ils l’avaient demandé pour un proches des années auparavant. Quand les êtres sont accompagnés avec un traitement adapté – de la douleur en particulier – et par des personnes convaincues que ce qu’elles vivent a un sens, elles réalisent souvent que leur vie mérite d’être vécue et quittent l’idée de hâter leur fin ».
La force de la fragilité

Pour Constance Yver-Elleaume, accueillir l’extrême fragilité, c’est aussi aider les patients à sortir de l’idée que si l’on tombe malade, c’est que l’on a fait quelque-chose de pas bien ou alors que ce n’est pas juste. Autant de pensées délétères, notamment en termes de survie face à une maladie grave. Aussi, la spécialiste en soins palliatifs propose une autre lecture peu commune de la survenue de la fragilité : « On considère généralement que l’enfant atteint l’âge de raison à sept ans ». En Occident, on croit souvent qu’il parle avec des êtres issus de son imagination… Jusqu’à ce qu’il raconte qu’il joue avec un autre enfant dans le jardin dont le prénom n’est autre que celui de son grand-frère mort-né dont il ignorait l’existence ! « Il est encore en lien avec l’invisible, avec l’infini. Le cas, bien plus courant qu’on ne le croit, commence à être admis en psychologie ». Oubliant ces dimensions pour pouvoir se déployer dans le monde existentiel, l’adulte les recontactera peu à peu à partir de la cinquantaine, au moment où il commencera à perdre ses facultés physiques et cognitives selon son rythme propre. « Dans la culture amérindienne et celle de nombreux peuples autochtones, un homme, à partir de cinquante ans, entre dans le cercle des anciens. Un processus est à l’œuvre tout au long de la vie, un peu comme un gant que l’on enfile lentement jusqu’à le remplir entièrement, puis que l’on retire progressivement, permettant un contact de plus en plus permanent avec les dimensions de l’infini. Les gens n’en n’ont pas forcément conscience mais ils le vivent malgré tout ». Le vieillissement de la population occidentale, serait-il associé à une spiritualisation grandissante de la société ? C’est la conviction de Constance Yver-Elleaume.

(1) Institut Gallup 1993, US News and Word Report 1997, INA Schmied 1999

 (2)  Parnia S, Spearpoint K, de Vos G et all. AWARE—AWAreness during REsuscitation—A prospective study. Resuscitation, Available online 7 October 2014. DOI: 10.1016/j.resuscitation.2014.09.004

Aller plus loin

Trois livres qui changent le regard sur la mort :

Peau neuve : Je ne cours plus après la vie, je la ressens – Elise Ferran, Editions Le Souffle d’Or. 14,90 €. Le récit de la guérison de l’auteur, suite à la confrontation avec l’imminence de la mort. Un vrai récit initiatique écrit d’une plume alerte. Un livre qui soigne.
Les 3 clés pour vaincre les pires épreuves de la vie – Dr Jean-Jacques Charbonnier, Guy Trédaniel editeur. 18 €. En se basant sur les témoignages de personnes ayant vécu une expérience de mort imminente, l’anesthésiste le plus célèbre de France propose 3 clés pur ne plus craindre la maladie, le handicap, les pertes ou la mort. Un ouvrage au fort pouvoir anti-stress.
Apprivoiser le dernier souffle – Regard d’un médecin en soins palliatifs – Dr Constance Yver-Elleaume, Editions Le souffle d’Or. 12 €. Ce recueil de témoignages d’une grande sensibilité ouvre sur des dimensions méconnues de l’existence. Une invitation apaisante à un retournement de conscience.

Le pouvoir guérisseur des EMI

Les expériences de mort imminentes favorisent-elles la guérison ? Un pouvoir que le docteur Jean-Pierre Jourdan, vice-président et directeur de la recherche médicale de l’IANDS-France (International Association for Near-Death Studies) considère comme probable : « Il semble que les personnes qui ont fait une EMI n’aient quasiment pas de séquelles », indique ce médecin qui étudie les EMI depuis près de vingt ans.  « Une étude devrait être menée pour chiffrer précisément la proportion de séquelles cérébrales en comparant avec les personnes qui ont fait un arrêt cardiaque sans en rapporter d’EMI. Si l’on pouvait mettre en évidence et reproduire un tel phénomène de neuro-protection, d’un point de vue médical, ce serait un énorme progrès ».

Ces revenants qui n’ont plus peur…

Selon des études statistiques (1), 60 millions d’individus, dont 20 millions en Europe, auraient connu une expérience de mort imminente à la suite d’un arrêt cardiaque. 4% de la population occidentale seraient concernés et une bien moindre proportion des peuples n’ayant pas accès aux techniques de réanimations modernes. D’après une étude du cardiologue néerlandais Pim van Lommel, menée auprès de 344 patients et publiée dans la revue médicale The Lancet en 2001, 18% des personnes réanimées d’un coma consécutif à un arrêt cardio-circulatoire avaient vécu une EMI. Ce pourcentage monte à 70 % chez les enfants, selon une étude du pédiatre américain Melvin Morse. D’après Pim Van Lommel, les survivants estimaient que leur croyance dans la vie après la mort avait augmenté et que leur peur de mourir avait diminué de façon significative. Ces sentiments s’étaient encore renforcés huit ans après.

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