Sortir de l’inhibition pour vivre libre et pour guérir

Le mois dernier, je concluais ma chronique en écrivant : « Notre éducation nous apprend à nous soumettre sans rien dire, à ne choisir systématiquement que l’inhibition de l’action comme réaction, alors qu’il faudrait réagir plus activement pour prendre soin de nos besoins !»

Vu comme cela, ça peut paraître choquant et exagéré d’affirmer une telle chose. En théorie, l’éducation n’a-t-elle pas pour objectif de faire grandir, d’affranchir, de favoriser l’autonomie ? En théorie, oui. Mais dans la pratique, le système est organisé pour nous apprendre à nous soumettre. Dans la famille, à la garderie, à l’école, à l’église, dans la société civile, à l’armée, dans l’entreprise, à l’hôpital, nous avons appris à être le bébé sage, l’enfant obéissant, l’élève modèle, le croyant fidèle, le bon citoyen, le soldat discipliné, le collaborateur exemplaire, le patient soumis…
De la naissance à la mort, on nous pousse à traverser l’existence sans faire de vague ni de bruit. Rester dans la matrice, ne pas se rebeller, ne rien déranger, tel est le destin tout tracé qui semble se dessiner devant nous. Ce qui est paradoxal, c’est que nous finissons par trouver ça normal, parce que ça constitue la norme pour la majorité d’entre nous, à divers degrés. Et tout est organisé pour nous ramener dans le droit chemin si, d’aventure, nous envisagions de sortir des sentiers battus. Comme le disait Alice Miller, l’être humain n’est ni éduqué ni élevé (au sens propre du terme), il est dressé, purement et simplement, comme un animal. Les conséquences, nous l’avons vu dans les deux articles précédents, peuvent être dramatiques. Car cette pédagogie noire, ce dressage, ce conditionnement nous précipitent dans une situation d’incompétence à prendre soin de nos besoins, en inhibant les réactions naturelles que nous devrions avoir pour rester en vie. Chaque fois qu’un blocage survient, nous nous éloignons de la vie… Car le mouvement, c’est la vie. Et la vie ne peut se maintenir qu’à travers un mouvement permanent, un équilibre dynamique…

Sortir des inhibitions : une nécessité vitale !

Concrètement, comment cela peut-il se traduire dans notre vie quotidienne ? Une nouvelle fois, réfléchissons à partir des histoires que je vous ai racontées depuis le numéro 9 de Néosanté. Au lieu de s’enfoncer tout seul dans son sentiment de dévalorisation, Charles aurait pu pleurer, crier, exprimer sa détresse à son entourage… Au lieu d’essayer de s’en sortir seule dans l’éducation de sa fille, Sylvie aurait pu demander de l’aide plus tôt pour ne pas sombrer dans le sentiment d’être une mauvaise mère… Quant à Annie, elle aurait pu exprimer sa colère à son beau-frère, insister pour allaiter sa nièce orpheline ou tout simplement, monter dans la chambre du bébé sans tenir compte de l’interdiction… Marie-Bernadette, cette jeune religieuse, n’était pas obligée de tuer le curé qui abusait d’elle. Mais elle aurait pu au moins le repousser ou le frapper. Elle aurait pu aussi aller trouver sa mère supérieure ou l’Évêque dont elle dépendait. Sylviane aurait pu faire un scandale en public, chaque fois qu’un homme lui tripotait la poitrine. Elle aurait pu le giffler, le repousser, l’engueuler, appeler ses parents… Enfin, Helena aurait pu se battre pour dire au revoir aux enfants dont elle s’était occupée comme une mère pendant des années. Et si ça n’avait pas été possible, elle aurait pu pleurer ouvertement le jour de la fête des mères, en parler à sa sœur ou à sa mère qui étaient présentes. Et Christian aurait pu se rendre immédiatement dans le bureau de son chef de service pour exiger des explications sur la raison de son déménagement. Il aurait pu taper du point sur la table, il aurait pu alerter le syndicat, ou tout simplement exprimer sa colère.
Si Charles, Sylvie, Annie, Marie-Bernadette, Sylviane, Helena et Christian n’avaient pas inhibé la réaction naturelle qu’ils auraient dû adopter pour revenir à l’équilibre, je suis certain que, jamais, la maladie ne les aurait touchés, parfois de façon fatale. Alors, quels enseignements pouvons nous tirer de ces histoires ? Quels grands principes d’hygiène de vie pouvons-nous identifier pour nous garantir un meilleur équilibre et une meilleure santé ?

Réapprendre à vivre libre

Premier enseignement : cultiver l’infidélité en tout domaine. Car ce n’est pas tant ce que nous avons subi de la part de nos éducateurs, de nos enseignants, de nos maîtres spirituels, de nos leaders qui est toxique. C’est notre fidélité inconditionnelle à ce dressage que nous avons reçu qui l’est ! Dans un de ses livres, Boris Cyrulnik montre avec une pertinence dérangeante que les enfants s’attachent à leurs bourreaux avec d’autant plus d’intensité qu’ils ont été maltraités par eux. Pourquoi ? Fondamentalement, parce que nous tenons d’autant plus à notre identité (même s’il s’agit d’une identité de victime ou d’abusé) qu’elle a été gravée profondément en nous. Autrement dit, plus nous avons été marqué, plus nous nous identifions à ce marquage, plus nous sommes attaché à ceux qui nous ont « offert » notre identité ! À l’âge adulte, cette fidélité malsaine peut prendre de multiples formes : soumission à toute forme d’autorité, psychorigidité, incapacité à prendre soin de soi, loyauté absolue à l’égard de la famille, de l’église, de la patrie… Un de mes amis médecins me confiait, il y a quelques années, que tous ses patients atteints de maladies gra- ves avaient au moins une caractéristique en commun : aucun d’entre eux n’avait fait leur crise d’adolescence ! Aucun d’entre eux n’avait réussi à dire m… à leurs parents ! Dans les exemples ci-dessus, il est évident qu’Annie, Marie-Bernadette, Sylviane et Christian n’avaient jamais fait leur crise d’adolescence ! Sinon, ils n’auraient pas réagi comme ça…
Deuxième enseignement : se donner la permission de poser des actes. Au cours de ma pratique de formateur d’adultes, je me suis rendu compte qu’une des choses qui nous manque le plus, c’est de reprendre le pouvoir sur notre propre vie. La majorité d’entre nous attendons que quelqu’un d’extérieur nous donne la permission d’agir, de parler, de bouger, de nous lever, de prendre des initiatives. Comme si nous étions encore à la maison ou à l’école, rongés par l’envie d’aller jouer ou d’aller faire pipi, mais attachés par des liens d’autant plus forts qu’ils étaient invisibles… Un des outils thérapeutiques les plus puissants que j’aie jamais enseigné est d’apprendre aux individus à se donner à eux-mêmes la permission de faire ce qu’ils sentent juste de faire, ce qu’ils sentent approprié de faire. Comme je le répète dans mon livre : prenez soin de vous, n’attendez pas que les autres le fassent !
Devenons un père pour nous-même ! Car c’est le père qui nous donne la mission (per-mission), la mission d’aller dans le monde pour apprendre à survivre par nous-même, en agissant, en fuyant, en luttant ou en nous immobilisant… Dans les sept exemples rappelés ci-dessus, on comprend qu’aucun des protagonistes ne s’est donné la permission de vivre ce qui aurait été bon pour lui : la permission de pleurer, de demander de l’aide, d’allaiter le bébé, de giffler le curé ou le tripoteur, de parler à la Mère supérieure ou aux parents, de rencontrer les enfants malgré l’interdiction de leur père, de demander des explications au chef de service. S’ils avaient fait cela, l’issue de la situation aurait été complètement différente.
Troisième enseignement : apprendre à vivre nos émotions. Je reconnais bien volontiers qu’il n’est pas toujours facile d’être infidèle aux normes morales et sociales qui nous ont été imposées. Il n’est pas toujours possible de se donner la permission d’agir de manière adaptée dans une situation donnée. Dans ce cas, il nous reste au moins une porte de salut, pour rester malgré tout dans la fluidité du mouvement : c’est de vivre pleinement nos émotions. J’aime rappeler que le mot « émotion » vient du latin ex-movere qui signifie « bouger hors de ». En anglais, c’est encore plus évident : motion veut dire le mouvement… Autrement dit, une émotion, c’est fait pour bouger hors de nous, c’est fait pour s’exprimer. Or, tout mouvement, même émotionnel, met en danger l’ordre établi. Que ce soit à la maison, à la garderie, à l’école, à l’église, à l’armée, dans l’entreprise ou à l’hôpital, nulle part, nos émotions ne sont bien accueillies. Très tôt, nous avons donc appris à bloquer l’expression naturelle de nos colères, de nos tristesses, de nos peurs, de nos déceptions, de nos dépressions. Avec pour conséquence que nous nous transformons en cocotte-minute jusqu’à ce que la pression interne devienne trop élevée et se transforme en maladie… C’est bien ce qui a manqué à nos sept témoins : d’accepter de se laisser traverser par le désespoir, le sentiment d’impuissance, la tristesse, la honte, la colère, l’envie de tuer, la culpabilité, la déception.
De cette analyse sommaire, il apparaît que sortir des inhibitions peut se faire à trois niveaux : au niveau de nos croyances (lâcher nos fidélités et loyautés inconditionnelles), de nos actions (se donner la permission d’agir) et de nos ressentis (accueillir et vivre nos émotions). C’est en accomplissant ce chemin initiatique que nous pourrons retrouver notre liberté, notre équilibre et notre santé. À vous de jouer, à présent !

Physicien et philosophe de formation, Jean-Jacques Crèvecoeur promeut une approche pluridisciplinaire de l’être humain pour redonner du sens à ce que nous vivons, mais aussi et surtout pour favoriser chez chacun de nous la reprise en main de notre propre vie, de manière autonome et responsable. Formateur et conférencier de renommée internationale, il est auteur d’une dizaine d’ouvrages, réalisateur de documentaires et producteur de nombreux outils pédagogiques au service de l’ouverture des coeurs et des consciences.
Son site Internet : http://www.jean-jacques-crevecoeur.com
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