MARIE MANDY : « Ce que mon cancer du sein m’a appris »

Réalisatrice de documentaires engagée, Marie Mandy décide, quand elle apprend qu’elle souffre d’un cancer du sein, de filmer son parcours au plus près pour témoigner et accompagner sa quête vers le sens. D’une sincérité absolue, son film profondément intime ne tombe cependant jamais dans le pathos ni le voyeurisme. Il est une incitation à aller de l’avant en mettant toutes les chances de son côté. Soit en optant pour une approche intégrative, qui ne sépare pas la guérison physique de la guérison intérieure.
Voici le condensé de quatre heures d’interview intense…

Depuis longtemps, je pense que les maladies n’arrivent pas par hasard. J’avais donc l’intuition profonde que ce cancer avait du sens. C’est cette expérience que j’ai voulu partager : je pensais, et je pense toujours, que la guérison intérieure est aussi importante que la guérison physique. Ce film est donc à la fois un dialogue entre la médecine traditionnelle allopathique et les médecines complémentaires qui m’ont énormément aidée. Mais c’est aussi une quête spirituelle : « comment dépasser la peur de la mort et apprendre à vivre dans l’instant  ?» Telle est la profession de foi de Marie Mandy. En ce jour ensoleillé, nous avons rendez-vous à La Caravelle, un bar restaurant qui surplombe le Vieux-Port à Marseille, à deux pas de là où la réalisatrice belge vit. Alors que nous levons notre verre, l’interjection « Santé  ! » prend tout son sens. «Je l’incarne», dit-elle dans un sourire. Quand Marie Mandy est entrée dans ce lieu qui lui est familier – elle vient notamment y écrire- j’ai été frappée par sa transformation physique. Elle est métamorphosée… Ce qu’elle dégage – plus de douceur, de féminité, de lumière intérieure – témoigne en tout cas de son parcours.

NéOSANTé : était-ce pour conjurer le sort que vous avez intitulé votre documentaire « Journal d’une guérison »  ?

Marie Mandy : effectivement, je ne voulais pas le nommer « Journal d’une maladie ». Même s’il s’agissait d’accepter la maladie, c’était projeter la guérison qui m’importait. Je n’ai jamais voulu m’approprier le cancer. Je n’ai jamais dit « mon » cancer, mais le cancer. Je ne désirais surtout pas sceller un pacte entre lui et moi.

À l’issue du documentaire, on vous sent portée par une nouvelle vitalité, presque une nouvelle vie. Diriez-vous, à l’instar de Guy Corneau dans « Revivre  ! » ( Néosanté n°1 ) que ce cancer a été un « séisme salutaire »  ?

Je ne le dirais pas ainsi, car cela voudrait dire que je n’aurais pas pu continuer ma vie sans l’avoir. Perdre un sein, il y a mieux quand même  ! Ça reste un risque important. Il faut bien peu d’estime de soi pour « faire le choix » de tomber malade afin d’éviter de sombrer, et du coup se mettre en danger. Ma chance, c’est d’en avoir fait une ressource pour aller de l’avant.

On comprend à travers le documentaire que, depuis des années, vous aviez l’intime conviction que ça n’allait pas. Pourquoi avoir attendu d’être au pied du mur pour réagir et changer  ?

Les maladies viennent rarement en un coup. Il y beaucoup de signes précurseurs : dépression, phénomènes inflammatoires, etc. J’ai ainsi eu toute une série d’alertes. Mais dans le monde dans lequel on vit, on se fiche souvent pas mal de ces signaux. Peut-être parce que nous ne sommes plus assez en contact avec notre ressenti  ? Ou pour des milliers de ( plus ou moins bonnes ) raisons… Une des leçons que j’ai tirée de cette expérience est qu’aujourd’hui je capte la moindre alerte, et surtout le message qu’il y a derrière. Même un bête rhume signifie que quelque chose dans votre vie ne tourne pas tout à fait rond ( elle se mouche, ndlr ). Toujours est-il que j’avais déjà fait auparavant toute une série d’examens qui n’avaient rien donné d’alarmant. Soit la maladie n’était pas encore en place ou à ce stade-là elle était invisible ou bien la mammographie a été mal faite, ce qui peut arriver. Quoi qu’il en soit, à l’époque, le chemin – intérieur et thérapeutique – avait déjà commencé… Avec tous les symptômes bizarres que je ressentais, une partie de moi savait pertinemment que la maladie allait être confirmée tôt ou tard. J’avais déjà choisi de me diriger vers les médecines complémentaires.

C’est aussi l’époque où vous avez commencé à explorer la piste d’une autre alimentation…

Oui, j’ai été voir un nutritionniste qui m’a prescrit un régime macrobiotique draconien, anticancer. Je l’ai suivi trois mois de façon rigoureuse. Ça n’a pas été évident, mais j’ai senti à quel point je me nettoyais. J’avais nettement plus de vitalité. Si j’étais en train de « fabriquer » un cancer, je pense que ce régime en a stoppé une partie ou, autrement dit, que cela l’a empêché de se développer davantage. Mon intime conviction est que ce cancer du sein était le résidu de quelque chose qui était arrêté.

Dès l’annonce du diagnostic, vous faites le choix de filmer votre traversée du cancer. Déjà vous aviez l’intuition que cette maladie « n’arrivait pas par hasard ». Filmer était-il une manière de vous aider à en découvrir le sens, un exercice de catharsis destiné à libérer les émotions refoulées  ?

En tant que réalisatrice, c’est mon métier de faire des films. Comme il y a des personnes qui donnent leur corps à la science, j’ai choisi de donner mon corps au cinéma. Il ne s’agissait pas de parler de moi, mais à travers moi de témoigner de convictions, notamment de l’aide des médecines complémentaires, et d’un chemin possible vers la guérison. En fait, c’est par après que cet exercice a révélé des vertus thérapeutiques. La réalisatrice était plus curieuse que la malade ( Rire ) ; elle m’incitait à aller toujours plus loin dans cette quête du sens.

Le dérushage n’a-t-il pas été trop éprouvant  ?

Nous avons filmé durant 4 à 5 mois, soit des centaines d’heures de matière. J’étais incapable de regarder ça après ( Silence )… J’ai laissé passer quelques mois. C’est bizarre : j’ai constaté par après, en regardant les rushes, que l’équipe technique m’avait en fait protégée. Ils avaient « pris » 50% de ma souffrance et de ma peur. En visionnant les rushes, j’ai été contrainte de parcourir les 50% que je n’avais pas traversés sur le moment.

Il y a donc eu tout un travail sur les images – au sens réel et symbolique – dans cette traversée…

Absolument, et j’ai dû œuvrer à les désactiver. Avec la monteuse Dominique Lefever et la coscénariste Virginie Langlois ( ingénieur en physique quantique et auteur, elle mène une réflexion philosophique sur le fonctionnement quantique des mécanismes, en lien avec le spirituel, ndlr¹ ), nous avons commencé à structurer le film : à voir comment témoigner de ce qui importait vraiment et glisser ce chemin intime dans un documentaire porteur de sens pour le public… Autre difficulté : insuffler ce cheminement personnel dans un parcours médical, pas forcément toujours très passionnant. L’écriture a été compliquée : c’est là que j’ai vu combien c’était thérapeutique  ! L’enjeu était de rendre à l’image la solitude propre au vécu de toute maladie et d’éviter d’être trop personnelle ( en montrant trop des détails relatifs à ma vie privée ou mon entourage ). Cela aurait pu créer un obstacle à l’identification, empêchant le travail thérapeutique des malades appelés à voir le film, souvent projeté en milieu hospitalier. Il fallait que toute personne puisse se mettre dans mes pas.

Avez-vous écrit plusieurs versions  ?

Oui. La première n’était plus le reflet de qui j’étais devenue : j’avais fait un tel chemin pour l’écrire  ! Il y a eu aussi une version plus sombre, à laquelle des femmes atteintes du cancer du sein, ayant visionné le film, n’ont pas bien réagi. Nous avons repris le travail d’écriture pour arriver à être conforme à ce que j’avais vécu et ce dont j’avais envie de témoigner. Le processus a pris un an. Ce film a été thérapeutique, entre autres parce qu’il m’a obligée à aller plus vite : on ne peut pas transmettre ce que l’on n’a pas soi-même compris. Et pas seulement sur le plan intellectuel. Je dirais que c’est davantage de l’ordre du ressenti, de la sensation partageable. Ce parcours m’a permis en quelque sorte de métaboliser les choses.

En regardant le film, j’ai été frappée par ce mélange d’émotion et de distance, de sincérité et de pudeur, d’allusion et de démonstration, est-ce que cela vous ressemble ou est-ce venu spontanément au fil du tournage et des événements  ?

C’est mon style artistique, donc c’est moi aussi. J’ai cherché à être dans la sincérité totale, sans voyeurisme. Je me définis comme une cinéaste plasticienne, ce qui veut dire que je cherche à projeter sur la toile la couleur juste. Je réalise des films expérientiels, qui partent donc de vécus sensoriels. Des films qui ne s’adressent pas au mental, mais directement au cerveau limbique, en lien avec les émotions. C’est une direction importante dans mon travail. Les images symboliques, oniriques et organiques qui ponctuent ce documentaire m’ont permis de donner corps à la maladie, d’exprimer la vitalité cellulaire. C’était génial  ! Cela me renvoie à la visualisation, une pratique que j’ai expérimentée avec Umi, qui s’inscrit dans le chamanisme toltèque.

Vous avez pris le parti de montrer les opérations, bien que sublimées en partie artistiquement. Était-ce pour garder une «trace », capable de vous ramener à l’essentiel  ?

J’avais choisi de montrer tout le chemin, pourquoi aurais-je gommé les opérations  ? Dans la tradition chamanique, une opération est toujours un passage initiatique. Gommer un tel passage aurait été faire l’impasse sur quelque chose d’important. Plastiquement, il y a une référence à la peinture de Francis Bacon. C’est très organique, mais aussi très spirituel. À un moment, je suis comme crucifiée sur la table d’opération : ça appartient à ce chemin. Dans la quête de sens, il y a un parallèle à faire avec la manière dont le corps se transforme. Autre élément phare : j’ai ainsi eu la chance d’assister à l’opération : ce à quoi j’étais absente, puisque j’étais endormie. Cela m’a permis de recoller les morceaux. Quand je témoigne dans des colloques, beaucoup de femmes ayant été opérées du sein viennent me dire « merci », car ces images leur ont permis de « lier » leur expérience.

On sent qu’il y a quelque chose d’important qui se joue pour vous et résonne quand le Dr Eduard Van den Bogaert vous dit en consultation qu’il n’y a pas à opposer la médecine allopathique traditionnelle et les médecines alternatives…

En fait, j’avais peu confiance dans la médecine « classique ». J’évitais les médicaments, par peur des effets secondaires. J’ai compris que cette médecine-là allait aussi pouvoir m’aider face au cancer. Réconcilier est plus intéressant qu’opposer. Tout ce cheminement est d’ailleurs une voie vers la réconciliation : avant tout de moi-même avec moi-même. Cela dépasse le fait de ne pas opposer les médecines. C’est un lieu de réconciliation beaucoup plus vaste… On ne guérit pas quand on est dans le conflit.

La symbolique du cancer du sein intracanalaire, dont vous avez souffert, renvoie d’ailleurs à la problématique de la séparation…

En effet, symptôme des temps modernes, il touche surtout les femmes « amazones »² qui s’oublient à force de vouloir tout mener de front. Elles dépassent leurs limites – psychologiques et corporelles – et mettent à mal leur système immunitaire. Bref, elles s’épuisent. Tout le travail est de ne jamais se séparer de soi-même. Mais le cancer est multifactoriel : dans mon cas, le fait de ne pas avoir eu d’enfant biologique en rajoute une couche. Ce qui ne veut pas dire que toute femme qui n’a pas d’enfant va développer un tel cancer  !

L’humanisme de votre chirurgienne, Fabienne Liebens ( chef de la Clinique du sein au CHU Saint-Pierre ) et de son équipe, réconcilie d’emblée avec la médecine classique…surtout en comparaison des premiers rendez-vous menés en France, où vous vous êtes sentie « comme un morceau de chair »  !

C’est vrai, Fabienne Liebens m’a réconciliée avec la médecine. Je l’admire  ! Comme elle est gynécologue, pour garder l’équilibre et cette faculté d’empathie, elle compense ce difficile accompagnement du cancer, qui la mène parfois à pratiquer des euthanasies, en mettant des enfants au monde.

Dès le départ, vous prenez conscience que cette maladie ne vient pas de l’extérieur, que ce sont, selon vos mots, vos propres cellules qui vous attaquent, aussi vous lancez-vous dans une quête de sens…

Je me suis dit : qu’est-ce que mon corps exprime  ? Qu’est-ce qu’il vient me dire. J’avais l’intime conviction que si je ne comprenais pas le message, je ne serais pas réellement guérie. La chirurgie seule n’allait pas m’enlever la maladie. Trouver les racines profondes de ce cancer pourrait contribuer à ma guérison intérieure, aussi nécessaire que la guérison physique.

Dès lors, vous optez pour une approche intégrative de la maladie, faisant appel à la médecine énergétique, à une alimentation anticancer, mais aussi aux techniques permettant de décoder symboliquement votre maladie et d’en découvrir le sens…

Selon moi, le lien entre les différentes thérapies par «décodage», c’est que le fait d’arriver à faire des connexions ayant du sens peut permettre que le cancer arrête de se propager. La personne qui a compris le sens global de ce qui lui arrive bascule dans une autre énergie, dès lors que les problématiques qui ont mis en branle la maladie s’arrêtent. La chirurgie, la chimiothérapie ou la radiothérapie permettent, quant à elles, de compléter le travail en « enlevant » les cellules cancéreuses.

On sent cependant dans votre parcours filmé que vous n’êtes pas en accord avec certains décodages…

J’étais d’accord de me remettre en question, mais pas à n’importe quel prix  ! Je ne pouvais pas accepter d’être réduite à certaines interprétations que l’on m’a faites… Je suis une grande gueule, mais il est plus difficile de faire la part des choses quand on est malade, donc faible… C’est pour cela que j’ai opté pour la Biogénéalogie, avec Marie-Françoise Noguès. Tout en travaillant sur la symbolique, cette approche offre une grille de lecture plus large, multicausale, qui rend compte de la complexité humaine.

Plutôt que de creuser les causes, elle travaille surtout sur les conséquences, si je ne me trompe…

Effectivement, la Biogénéalogie part du principe qu’un symptôme est la conséquence de problèmes : transgénérationnels, éducatifs et comportementaux. Cette technique va chercher le « bug », si j’ose dire, et va surtout « upgrader » votre programme. C’est-à-dire qu’elle va travailler au futur : elle va proposer des moyens de ( ré )agir, de réactiver les ressources personnelles – dont on a généralement perdu les « clés » – pour que vous ne soyez plus dans cette problématique. Le but est de sortir de l’impasse. Il ne s’agit pas ici de rabâcher le passé ou de mettre la faute sur ses parents. Cela vous responsabilise et vous fait sortir de la logique de la « victime ». Il s’agit d’agir, de construire et d’avancer pour un futur meilleur. Cette approche rend le pouvoir aux personnes. Maintenant, je peux « débuguer » au fur et à mesure. Tout ce chemin vers la guérison m’a mise en contact avec ma responsabilité : je suis responsable de moi-même. J’agis en conséquence, en essayant de faire les bons choix.

Je vous trouve transformée depuis votre film, beaucoup plus féminine et lumineuse…

Vous savez, on n’est pas très attentif à soi quand on est malade. Mais c’est vrai que je me sens tellement plus féminine depuis que je n’ai plus qu’un sein. Je crois que ça a révélé quelque chose au fond de moi ( elle réfléchit ). Je ne me sens pas diminuée : au contraire, je me suis rendu compte que ma féminité était tellement plus profonde et incarnée que je ne le croyais, et pas seulement liée à mes seins.

Dans la fuite en avant qui vous a épuisée, vous reconnaissez avoir repoussé certaines priorités à plus tard. Cette maladie – et l’incertitude qu’elle fait planer sur le futur – vous a-t-elle aidée à ne plus remettre au lendemain ce qui vous est essentiel  ?

La maladie m’a appris que la vie, c’est aujourd’hui. Peut-être n’y aura-t-il pas de plus tard  ?… Ce que j’ai traversé m’a donné la conscience aiguë du présent. Quand je suis « avalée » par la vie quotidienne et le rythme actuel, je réussis à garder la faculté de vivre dans l’instant. Je mets d’autres limites qu’auparavant et je ne laisse pas monter le niveau de stress. Il s’agit de faire des choix pour soi, pas contre soi. Ce cheminement m’a aussi permis de voir que j’avais plus de ressources que je ne le pensais. Aujourd’hui, je peux surmonter les épreuves sans m’abîmer forcément.

Par Carine Anselme

( * ) À lire : Les Sabliers du temps et La Grande Éclaire, deux romans publiés chez Actes Sud. Le premier – qui fait partie des livres de chevet de Marie Mandy – met en lumière le cheminement d’une conscience vers l’apaisement…
( * ) . Il est intéressant de noter qu’on surnomme les femmes ayant subi une ablation du sein « Amazones », que Marie Mandy a habité rue de l’Amazone à Bruxelles…et que sa maison de production s’appelait alors Amazone Films  ! « Est-ce la vie qui nous écrit ou nous qui écrivons notre vie  ? », se demande-t-elle à ce propos dans le film.

Mes deux seins, Journal d’une guérison, un film de Marie Mandy, filmé par Vincent Fooy, co-écrit par Virginie Langlois et Marie Mandy ( 2010/The factory & Fontana ).
Pour en savoir plus et commander le documentaire :
www.mesdeuxseinslefilm.com
– Notez que sur ce site sont renseignés les liens vers les différents thérapeutes qui ont contribué à l’approche globale choisie par Marie Mandy.

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