Le Kalaripayatt, art martial « paléo »

Le kalaripayatt, un art martial indien nourri de la force animale

Originaire du sud-ouest de l’Inde, dans le Kerala, où il est essentiellement pratiqué, le kalaripayatt, art martial ancestral trop souvent méconnu,combine une pratique physique corporelle faisant circuler l’énergie et s’inspirant de la nature et du comportement d’animaux (éléphant, lion, cheval, coq, sanglier, paon, chat et serpent) avec des techniques de défense à mains nues ou avec des armes en bois ou en métal.

En malayalam, langue parlée dans le sud de l’Inde, kalari signifie « le lieu, l’arène, l’espace de dialogue », et payatt est dérivé de payattuka, ce qui veut dire « s’exercer intensément ». La traduction de kalaripayatt pourrait donc être « l’entraînement de l’arène ». Fondamentalement non-violent, il se rapproche d’autres arts martiaux (les peu connus varma kalai et selambam d’Inde du sud, les plus connus kung-fu et tai chi chuan en Chine), notamment au niveau de mouvements enchaînés, de positions d’inspiration animale et de techniques présentant des similitudes. Les principes essentiels du kalaripayatt sont autant de vertus: discipline, patience, humilité, résistance. Il est à la fois un engagement pour le corps et pour l’esprit, intégrant, comme beaucoup de pratiques orientales, une dimension spirituelle: l’entraînement aide à rendre le corps plus souple, à tonifier les muscles et à développer l’énergie interne, ce qui se répercute sur l’esprit qui s’en trouve fortifié.

Les piliers du kalari

Approche holistique qui touche à la globalité de l’être, il concerne aussi bien le niveau physique et mental que le niveau émotionnel et repose sur plusieurs aspects:

  • des mouvements à dimension artistique, sorte de chorégraphie martiale dansée développant l’équilibre, la concentration et le développement de la souplesse et de la force,
  • des techniques d’auto-défense à mains nues,
  • la connaissance des points vitaux,
  • des techniques de respiration yogique,
  • la pratique d’armes en bois, plus ou moins souples et plus ou moins lourdes et de plus en plus courtes à mesure des progrès de l’élève (tels que le bâton à 2 ou 5 pieds de longueur, la massue de Hanuman, le bâton incurvé de moins de 60 cm),
  • la pratique d’armes en métal (poignard, lance et épée flexible à deux tranchants),
  • et enfin une approche de soins comportant des massages liés à l’ayurvéda, destinés à préparer le corps à l’entraînement ou à soigner les blessures de combat.

Le massage kalari est un massage scientifique complet très ancien réalisé aux huiles, au sol ou sur table, avec les mains et parfois avec le pied. Lutte et médecine apparaissent comme indissociables au sein de cette discipline. En effet, les maîtres, appelés « gurukkal », sont à la fois médecins ayurvédiques et guerriers, mettant à profit leurs connaissances de techniques vitales tantôt pour se défendre ou nuire, tantôt pour soigner.

L’essence du kalari

En Inde, l’entraînement a traditionnellement lieu dans le kalari, une salle de 14 mètres sur 7, parfois creusée en contre-bas par rapport au niveau de la terre. Il commence par une salutation kalari, équivalent du Dojo japonais, sorte de chorégraphie exécutée en l’honneur de la terre mère, du ciel, des animaux, des divinités, de l’humanité et de la vie dans sa globalité ainsi qu’en signe de respect envers le maître.

Le corps est chauffé par le biais d’assouplissements et d’étirements, d’exercices ludiques de marche, de sauts et d’un travail d’endurcissement des avant-bras. Cette préparation est renforcée par le travail de la respiration, toujours en relation avec le mouvement et l’énergie. Ensuite, l’élève apprend à se déplacer dans l’espace par des enchainements de lancers de jambe directs, circulaires, intérieurs et extérieurs associés à des exercices au sol. Ensuite, l’élève débutant est invité à s’approprier les postures (très basses) portant le nom de chaque animal (éléphant, lion, cheval, paon, serpent, chat, coq, sanglier, cette dernière étant l’une des plus élaborées) pour ensuite apprendre à se déplacer en en saisissant l’essence. L’objectif est de s’appuyer sur la force de ces postures animalières pour en dégager toute la tonicité et l’agilité. Le but n’est évidemment pas d’imiter ces animaux mais plutôt d’en tirer une réflexion : quelle est la force de cet animal ? Qu’a-t-il à nous apporter ? Comment peut-on retrouver sa force en nous ? Comment peut-on se l’approprier? L’une des postures les plus simples est celle du cheval dans laquelle on adopte une position très basse qui permet d’être très stable et proche du sol, les deux mains au sol à côté du pied à l’avant, la jambe gauche fléchie, la droite tendue et le dos incurvé. Dans cette position, il est quasiment impossible de faire reculer quelqu’un par l’avant, comme c’est le cas en face d’un cheval.
Ces exercices permettent d’installer l’enracinement, de raffermir la souplesse, la fluidité, le souffle et de centrer la concentration. Par sa régularité, l’élève développe tant sa concentration, sa stabilité ou son ancrage que son potentiel d’adaptation, d’impulsion et de réaction immédiate. Par un travail des axes horizontaux et verticaux du corps, la fluidité s’installe dans le bassin, l’ouverture se fait dans le corps.

Genèse d’un art martial ancestral

Le kalaripayatt puise son origine dans l’art de la guerre antique de l’Inde et la médecine traditionnelle indienne. Rare art de combat à avoir été si peu modifié, il serait l’un des doyens des arts martiaux. Bien que des statues dans certains temples attestent d’une pratique martiale dans le sud de l’Inde dès le IVème siècle, il semblerait que le kalaripayatt ait été élaboré sous sa forme actuelle entre le XIIème et le XIVème siècle.

Son origine n’est pas clairement établie mais plusieurs légendes tentent de l’expliquer. L’une d’elle concerne l’un des avatars de Vishnu, le dieu Parasurama, qui aurait acquisla double qualité de sage et de guerrier en fondant l’état du Kerala (en jetant sa hache de combat en mer d’Arabie) en même temps que le kalaripayatt. Premier « gurukkal », il aurait enseigné son art martial à 21 disciples et aurait fait construire une centaine d’écoles pour la protection et l’évolution de son peuple et du nouvel état. Une autre légende, expliquant les similitudes entre plusieurs arts martiaux, conte que, venant d’Inde, Boddhidarma, un moine bouddhiste de la caste des guerriers expert en kalaripayatt, remonta du Kerala à la Chine pour transmettre son art aux moines bouddhistesde Shaolin, donnant naissance aux nombreuses écoles de Wu-shu, elles-mêmes à l’origine du Karaté.

Originellement liée à l’histoire du Kerala, cette discipline a connu son âge d’or entre les XIIIe et XVIIe siècles. À cette époque, elle jouait un rôle socio-politique important et était un pilier institutionnel sociétal : la caste guerrière des Nayars avait obtenu le droit exclusif de la pratique des armes et de l’entraînement guerrier aux XIème et XIIème siècles. Ils s’entrainaientdepuis leur plus jeune âge, protégeaient l’ordre de la vie quotidienne et combattaient en duels, souvent jusqu’à ce que mort s’ensuive, lors de conflits entre royaumes voisins. L’arrivée en Inde de différents pouvoirs coloniaux a eu une influence sur le prestige du kalaripayatt : interdit par les colons de l’empire britannique, il fut menacé de disparition, les armes perquisitionnées et détruites et les maîtres placés sous surveillance. Cependant, un enseignement clandestin se poursuivit jusqu’à ce que le pays retrouve son indépendance en 1947. Au cours des siècles, cet art martial devint un symbole de tradition et de savoir-faire de l’identité du Kerala.

Le kalaripayatt au Kerala aujourd’hui

Aujourd’hui au Kerala, son apprentissage est ouvert à toutes les castes et religions et compte plus de 500 écoles. Les enfants, garçons et filles, commencent à s’entrainer entre 6 et 10 ans, généralement jusqu’à la puberté pour les filles et jusqu’à la vingtaine pour les garçons qui cessent de s’entraîner lorsqu’ils fondent un foyer. Une minorité poursuit sa formation, allant jusqu’à en transmettre à leur tour la pratique. Les maîtres possèdent un statut privilégié, étant considérés comme dépositaires de secrets ancestraux traditionnels et mystiques. Selon le style du maître qui l’enseigne, l’accent est mis tantôt sur l’utilisation des armes, tantôt sur les techniques à mains nues, tantôt sur le versant curatif du kalari. À l’heure actuelle, plutôt qu’un art ancestral guerrier, le kalaripayatt est devenu une méthode de contrôle de soi et d’accomplissement personnel. Malgré ce statut prestigieux, il est délaissé par les jeunes indiens qui lui préfèrent d’autres arts martiaux comme le karaté ou le kung-fu.

Son influence en Occident

Certains occidentaux ont rencontré le kalaripayatt et en promeuvent désormais la pratique en Occident, l’enseignant dans le respect de la tradition tout en veillant à le rendre accessible au rythme de la vie occidentale. C’est le cas d’Indirah Osumba qui l’enseigne à Bruxelles à un groupe confidentiel d’élèves tantôt désireux de pratiquer un art qu’ils ont rencontré en Inde, tantôt convaincus par le bouche à oreille de cette approche bénéfique à la fois pour le corps et pour l’esprit.

C’est grâce à son compagnon, comédien, qu’elle a rencontré le kalaripayatt : « il est allé suivre un stage des arts de la scène traditionnelle dans le sud de l’Inde. Comme entrée en matière de la journée, il avait le choix entre le yoga et le kalaripayatt. Connaissant déjà le yoga, il a été attiré par la découverte du kalaripayatt pour son côté mouvant et dynamique. À son retour à Bruxelles, il espérait pouvoir en continuer la pratique, mais il s’est rendu compte qu’il n’y avait aucune offre dans ce domaine. Il décide alors d’intégrer le kalaripayatt, tel un langage, à l’un de ses spectacles. » En 1996, Indirah remplace l’un des acteurs de cette pièce. Le kalaripayatt dépasse bientôt le seul cadre de cette pièce pour ce duo. En 1997, Indirah, enceinte, décide de fonder une école et commence à organiser des cours, développant l’aspect organisationnel du kalaripayatt (cours, invitations de professeurs indiens en Belgique) pendant quelques mois puisqu’elle se voit contrainte de revoir ses attentes de performance physique. Avec la création de l’asbl « Ploef ! Plus On Est de Fous », une association dont le statut est primordialement le travail sur la justesse, des gens de tous les milieux ont l’occasion de se rencontrer autour d’activités variées (films, documentaires, concerts, cuisine, tricot, réflexions thématiques, musique, théâtre, coiffure africaine, photos en ateliers ponctuels ou suivis). Depuis 3 ans, les activités de cette asbl sont installées dans une grande maison à Jette où Indirah prodigue ses cours de kalari le mercredi soir et le samedi matin dans une grande salle au haut plafond donnant sur une arrière cours.

Jetant un regard en arrière sur son parcours, elle constate que l’Inde s’est imposée d’elle-même sur sa route: « en deux mois, j’ai rencontré deux indiens qui m’ont proposé de m’accueillir chez eux et à ce moment-là, justement, je terminais un projet. La synchronicité était donc parfaite. Depuis, je me rends au Kerala tous les 3 ans environ pour assurer le suivi de ma formation. Dans l’école où je continue de me former, au sein d’un village de 30.000 habitants, un père a transmis le kalaripayatt à ses trois fils, qui ont chacun leur propre langage et leur style propre. La famille a reçu un titre pour la qualité et la spécificité de sa pratique il y a 7 générations. Je m’entraîne de 6h30 à 9h-9h30 lors des cours donnés le matin. Tout le monde arrive au fur et à mesure et vient réguler son corps, chauffer ses muscles avant de se rendre à l’école ou au travail. »

L’art de se former au kalari

Au sein des participants des cours donnés par Indirah, chacun commence là où il en est : les élèves, originaires de domaines d’activités très différents (tourisme, pharmacie, ambulance, étudiants, monde artistique), ont une expérience allant dequelques mois à plus d’une dizaine d’années. Pour Indirah, « tout se passe en corps plutôt qu’en mot. Dans les premiers temps, il n’y a pas de combat. Plusieurs mois de pratique passent avant de s’intéresser à la relation à l’arme comme prolongement du corps ou à l’ « adversaire » si l’on peut l’appeler comme cela. Plutôt, c’est un moyen d’apprendre à connaître son corps, un moyen de se l’approprier, d’en développer la souplesse et la force. »

Le kalaripayatt n’est pas un apprentissage très prisé actuellement, dans la mesure où il demande à la fois force et souplesse, régularité et précision : « ceux qui souhaitent directement aller dans l’extrême, dans les combats, sont rapidement frustrés ou découragés. Il n’y a pas vraiment de compétitions car cet art martial peut être très dangereux, voire mortel. En fait, on met souvent des années avant de pouvoir passer à l’improvisation et on réalise pendant longtemps uniquement des enchainements « chorégraphiés ». Néanmoins, le kalaripayatt reste accessible à tout le monde à la mesure de ses possibilités. Chaque année, je donne un stage à des handicapés mentaux et moteurs. Évidemment, une femme en chaise roulante n’arrivera pas à la même étendue de mouvement qu’une personne valide, mais elle sera contente d’avoir relevé le défi, de se mettre en mouvement à la mesure de ses capacités. » Indirah porte attention aussi à dépolluer le rapport à l’apprentissage de la notion de faute : « En Inde, le processus d’apprentissage est très différent, il est à la fois très cadré et exigeant mais le professeur prend le temps de guider l’élève en difficulté pallier par pallier. Son discours n’est pas mentalisé, tout passe par l’exemple et la pratique ».

Cette professeur engagée, qui désire transmettre sa passion et son amour pour la beauté de cet art martial, observe qu’en faisant évoluer l’énergie dans le corps, le mental s’en trouve influencé et vice versa. Au travers de cette discipline, elle remarque qu’une logique certaine du corps s’installe chez ses élèves : « ils évoluent avec l‘art martial, qui est un véritable moyen de vivre une philosophie de vie sans en parler, assainissent leur relation à l’autre et à eux-mêmes ». En définitive, le kalaripayatt apparaît comme un merveilleux outil pour entrer en relation avec soi-même, avec l’autre, avec tous les axes de la vie et du corps en mêlant intériorité et extériorité.

Ariane Jauniaux

cours de kalaripayatt rue Bonaventure 100 à Jette le samedi matin de 11 à
13h et le mercredi soir de 19 à 21h. Inscription possible au cours, pour 5 cours ou au trimestre sans durée limitée. Site web : http://home.scarlet.be/kalaripayat/fr/index.html
Pour trouver où pratiquer en France, Belgique et Suisse : http://kalaripayatt.blog.kazeo.com/

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