La fibromyalgie : une voie de sortie

Article n°83 Par Paule Mongeau, M. Ps., psychologue

Maladie mystérieuse, la fibromyalgie n’en est pas moins sérieuse : rien qu’en France, un million de personnes en souffrent quotidiennement. Dans un rapport récent, le Conseil Canadien de Rhumatologie émet l’hypothèse que la polyalgie chronique des fibres musculaires pourrait provenir d’un « évènement perturbateur antérieur », autrement dit d’un traumatisme psycho-émotionnel. Co-auteure d’un livre pluridisciplinaire sur cette pathologie, la psychologue québécoise Paule Mongeau propose ici une piste de compréhension biologique : les douleurs découlent de la tension permanente des muscles et cette « hyper vigilance » serait la réponse parfaite du cerveau lorsque l’immobilité apparait comme synonyme de danger. Au-delà de ce décodage, elle propose une voie de guérison plurielle impliquant notamment le repos, l’alimentation hypotoxique et la réactivation du savoir… rire.

La fibromyalgie est une maladie physique sévère parce que, laissées à elles seules, les personnes souffrantes trouvent rarement des solutions efficaces pour libérer leur corps de ses souffrances. En plus des malaises physiques, cette maladie a bien évidemment ses composantes psychologiques et spirituelles. Nous évoquerons ces trois dimensions insécables au cours de cet article.
J’aimerais d’abord, en tant que psychologue, vous présenter mes observations cliniques concernant cette maladie qui marque péniblement de 1 à 5% de la population. Rien qu’en France seulement, cela concernerait plus d’un million de personnes souffrantes et leur entourage, aussi touché par les contraintes de leur proche. Heureusement, aujourd’hui, les études scientifiques et les observations cliniques nous donnent enfin un portrait clair de cette affection handicapante et par le fait même, une excellente idée de la voie de sortie.

Le conditionnement opérant

Lorsque le scientifique russe Pavlov a entrainé son chien à saliver au son d’une cloche, après avoir accompagné ce son de la présentation d’un morceau de viande à quelques reprises, il ouvrait la porte à une toute nouvelle compréhension du comportement humain.
La nature même de l’effet placebo indique que le cerveau est conditionné et répond à des stimuli. Une suggestion est faite, le corps réagit. C’est une bonne chose. Lorsqu’on croit qu’une chose est bonne pour nous, l’installation d’une routine, par exemple, nous évite d’avoir à planifier de nombreux gestes quotidiens. Le cerveau fonctionne de la manière la plus économique pour lui. Donnons un exemple : l’habitude de changer les draps de lit, disons tous les dimanches, m’évite de me questionner sur la dernière fois où je l’ai fait… si j’arrive à me souvenir du moment de ce geste banal.
Pour un artiste ou un sportif, exécuter un signe quelconque avant une performance peut être un gage de succès, car ce geste rassure l’individu de façon compulsive en créant une croyance bien commode. Ainsi comprend-on la nature des croyances : elles sont illusoires, parce que fondées sur une certitude sans fondement dans la réalité. La croyance est plutôt basée sur une pensée, laquelle possède une vie aussi éphémère que sa constitution, sans consistance vraie. Un verre d’eau est vrai, car il étanchera ma soif, tandis que la pensée, même écrite sous la forme de ses molécules H2O, ne le fera pas. Cependant, mêmes les pensées auront un effet certain si on y prête vie.
Aussi, dans cette perspective de croyances utiles à sa sécurité, et donc à sa survie, le cerveau et ses pensées généraliseront l’évitement de tout ce qui nous a fait peur dans le passé, en nous pressant de fuir un endroit, un type d’individu, une activité quelconque, pourtant pas toujours perçus comme menaçants par la majorité des gens. Et la personne ayant cultivé sa vision illusoire de la réalité aura tendance à perpétuer le geste ou s’accrocher à une pensée et répéter les mêmes comportements. Comme si elle pouvait contrôler l’avenir sur la base du passé… ce qui est beaucoup plus une croyance qu’une vérité. Tout est dans le lien que nous entretenons entre des moments qui n’en n’auraient pas, car celui-ci est le produit de la pensée.
Qu’en est-il au sujet de la fibromyalgie ? Serait-elle également conditionnée par la fuite d’un danger ? Qu’en est-il lorsque le cerveau maintient en place une attitude qui n’a plus lieu d’être sur le plan de la réaction à un événement passé ? C’est l’hypothèse soulevée pour expliquer le maintien de l’hypervigilance et de la tension musculaire extrême chez les personnes ayant développé de la fibro-my-algie (douleurs des fibres musculaires) sur de nombreux points du corps.

L’évitement

Ayant accompagné des personnes fibromyalgiques depuis maintenant plus de cinq ans, une particularité de leur psyché m’a interpelée : le refus d’accepter le repos comme simple requête de leur corps en épuisement. Devoir rester en place est ressenti comme un danger, comme de céder à un sentiment de vulnérabilité lequel est fui comme on craint un ennemi.
Puis, l’agitation motrice, la nervosité, l’hypervigilance mènent à des difficultés de sommeil, lesquelles mènent à de l’épuisement et bien d’autres maux, dont des problèmes intestinaux et de l’anxiété. Pourquoi l’anxiété ? Parce qu’alors le cerveau interprète la fatigue et le sentiment d’être pris dans un carcan de douleurs comme un danger potentiel où la survie est menacée. L’être humain est un animal mammifère, il nécessite donc la protection du clan; l’isolement, la faiblesse et la différence le font sentir vulnérable.
Cette année, le monde scientifique fête le 100e anniversaire de naissance du biologiste français Henri Laborit . Dans une position d’impuissance face à un danger imminent, réel ou imaginé, invoque le chercheur, l’être réagit avec violence et éventuellement par une dépression. Un cerveau évolue et l’interaction entre les trois cerveaux (réflexe, émotionnel et rationnel) peut créer des menaces symboliques où l’évocation de mots ou de contextes spécifiques provoque le même type de défenses que lors d’un danger imminent. « Connaitre ce qui nous contraint est important, et à partir de ce moment, la libération est favorisée » .
Une guérison possible
Le sentiment commun de ces personnes ayant développé au fil du temps de la fibromyalgie est de se sentir prises, prisonnières, cloisonnées. Ces mots font partie de leur perception inconsciente. Faire le calme à l’intérieur du corps est ressenti comme un état de mort. Lorsqu’on cherche une métaphore pour exprimer le degré de douleur et de fatigue, les mots résonnent comme une condamnation qu’on voudrait éviter à tout prix : « Je ne pourrai pas m’en sortir vivant/vivante». Dans les imageries recueillies (des images et histoires mises en mots exprimant les ressentis), les personnes se sentent en danger de mort et elles croient que seule une action sans répit pourrait les sauver. L’ordre mentalisé de ne jamais abandonner semble soutenir leur force de vie. Mais on est loin de la réalité du repos qu’exige un corps épuisé !
Le Conseil canadien de la Rhumatologie pointe dans un rapport récent, les origines possibles de la fibromyalgie comme découlant de l’impact d’un événement perturbateur antérieur. Dans un même souffle, il est indiqué la pertinence d’accorder un soutien psychologique aux patients « afin de favoriser l’atteinte des objectifs en matière d’évolution de l’état de santé. »
Un événement perturbateur pourrait-il être la cause de l’entretien de la fuite dans le corps de la personne souffrante ? On fuit ce qu’on craint et c’est bien ainsi. Ce réflexe du système nerveux sympathique est automatique et involontaire, encourageant le maintien de l’intégrité de la personne. Cependant la généralisation de cette peur, è court ou à long terme, entraine des conséquences néfastes sur le bien-être entier de l’individu.
De plus, nous sommes sensibles aujourd’hui au fait que les traumatismes de l’enfance puissent passer inaperçus aux yeux des parents si l’enfant n’a pas trouvé les mots ou l’aide pour exprimer sa détresse. Ce sentiment d’impuissance marque le cerveau émotionnel de telle sorte que le cerveau rationnel, organe plus récent de l’évolution des espèces, n’a pas le poids, la crédibilité auprès du cerveau primaire de survie pour déclencher le système parasympathique, la clef de la détente; ce « Ouf ! Le danger est passé ! » est essentiel à l’activation de la capacité de repos… et du rire !
La réaction fibromyalgique pourrait donc être conséquente à une exacerbation du système nerveux sympathique sonnant toujours l’alarme, gardant la personne en hypervigilance constante, même après des années, sinon des décennies à la suite d’une agression, d’un abus ou d’une très grande peur mettant en danger sa survie, ou du moins, l’événement a-t-il été perçu de cette façon. D’où le parallèle apparent avec le choc posttraumatique, comparaison souvent étudiée dans les études scientifiques récentes .

Réactiver le Bouddha rieur en soi

Quelques personnes ont courageusement trouvé un chemin de guérison, sinon d’aisance, par elles-mêmes. Lors des Salons du livre auxquels j’ai participé afin de présenter nos deux ouvrages collectifs portant sur le traitement global de la fibromyalgie , elles ont confirmé qu’il est possible de sortir de ce carcan et m’ont encouragée à partager cette heureuse nouvelle.
Afin de choisir et de collecter les textes de 18 auteurs, j’ai donc écouté des témoignages de guérison, invité quelques personnes à écrire et partager leur cheminement, et surtout, en tant que psychothérapeute, compris comment le corps arrive éventuellement à lâcher ces tensions extrêmes au profit de la liberté retrouvée.
J’en ai dégagé quatre clefs principales de soulagement :
• La première étant l’aveu de l’épuisement, la reconnaissance des limites physiques, ceci, malgré la terreur que cette prise de conscience peut susciter pour les raisons citées plus haut. Il n’y a de remède ici que le repos.
• La dernière, la recherche de petits plaisirs et douceurs visant à recontacter le bien-être, l’objectif visé. Respiration et démarche de pleine conscience suggérées.
• Les deux autres clefs sont essentielles à la thérapie, car sans elles, toute pratique de santé ou tout exercice physique ne donneront que des résultats partiels. La seconde clef : l’adoption d’un régime hypotoxique afin d’accorder la chance à son corps de diminuer l’inflammation et ainsi, les douleurs. Certains aliments seront à éliminer, au moins de façon temporaire, des collations et repas quotidiens.
• Troisième clef : enlever le caillou du soulier. Prendre le temps de résoudre les croyances négatives concernant la sécurité intérieure en faisant la paix avec le passé, en acceptant sa vulnérabilité et sa faillibilité tout humaine.
Selon les observations et recherches cliniques, ce n’est pas un seul type de traitement, ni médical ni complémentaire, qui réussira à soulager les douleurs et la fatigue. Il s’agit en fait, d’une panoplie d’engagements envers sa santé, permettant au corps de renverser la vapeur et de recréer son périmètre de sécurité intérieure .
Ce sentiment de vulnérabilité, souligné plus haut, est la piste à travailler, autant au niveau psychologique qu’au niveau spirituel dans le lâcher-prise. Au point de vue émotionnel, le cerveau doit comprendre que le danger vécu autrefois est chose du passé, que la personne n’est plus dans cet espace périlleux, ou si oui, qu’elle a de bonnes décisions à prendre afin d’assurer sa sérénité et son calme intérieurs. Une condition essentielle pour apaiser un système nerveux exacerbé.
Au point de vue spirituel, le lâcher-prise consiste à accréditer le déroulement de la vie telle qu’elle se présente; c’est une autre clef très précieuse, mais difficile à atteindre lorsque l’individu est en mode protection. Toutefois, accepter que le passé ait été ce qu’il a été, qu’on ne connaisse pas l’avenir et qu’on ne puisse changer la réalité présente évite bien des soucis; par contre, se battre contre cette réalité est source d’épuisement. Qui peut empocher à ce jeu de contestation, nous ou la réalité ? Bien sûr, la réalité gagne à tout coup ! Vaut mieux cueillir les fruits de la vie qui prend forme à tout moment, quelle qu’en soit l’apparence, et en être ébahis.

Conclusion

Nous sommes plus que nos pensées. Dans cette perspective, la fibromyalgie pourrait devenir une occasion de prendre conscience d’un soi plus profond. Quelle belle alchimie que de transformer la souffrance en lumière de conscience ! En effet, si nous ne contrôlons pas notre mental comme nous demandons à notre bras de plier, il va de soi que les pensées et les émotions font partie d’un système autonome qu’il est impossible de contenir; au mieux pouvons-nous choisir d’investir les pensées constructives afin que le cerveau enregistre que nous les priorisons face aux idées qualifiées de négatives.
Les pensées sont conditionnées par la culture, le vécu et nous entravons notre liberté en nous identifiant au passé, aux événements. Accepter que se présentent des pensées récurrentes sans investir dans cette énergie, régler nos vieux contentieux, choisir un style de vie qui nous convient, voilà les clefs du bien-être. Modifier notre alimentation, respirer amplement et consciemment, encore mieux. Savoir que de toute façon, il n’y a « rien à faire » , c’est la Vie qui bat dans toutes ses couleurs et qui chuchote à notre oreille de lâcher prise, d’accepter ce qui se présente comme un cadeau, voilà les clefs de la sagesse.
L’effet placebo est un effet de suggestion. Pour ma part, je répète souvent cette phrase lorsque survient une coïncidence merveilleuse, et le plus souvent possible : « La Vie est bien faite ». Cette maxime aura l’avantage d’accompagner mon dernier souffle (autant que chaque instant de la présente vie) afin de n’entretenir aucun regret et d’accepter le passage à autre chose, à un autre état, à tout moment.

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