Infertilité et psychanalyse transgénérationnelle

Le transgénérationnel peut-il aider à lever les verrous de l’infertilité ?

Avant-propos

Marie a 20 ans… une énergie débordante et une gaité à toute épreuve.
Lorsqu’elle rêve au futur, elle se voit entourée d’enfants… Les siens mais aussi ceux des autres puisqu’elle a choisi d’être institutrice. Un métier dans lequel elle s’épanouit grâce à ces petites têtes blondes à qui elle enseigne les rudiments du savoir.

Marie a 25 ans et elle croise sur sa route son alter ego masculin, Martin. Ils se marient et espèrent très vite pouvoir continuer cette phrase un peu bateau mais qui résume tellement bien leur espoir : « …et ils eurent beaucoup d’enfants ».
Marie a 30 ans et malgré leur désir et leur volonté de fonder une belle et grande famille, Martin et elle ne sont toujours pas parents. Bien sûr ils sont jeunes et l’espoir est toujours bien présent mais pas de petits à l’horizon. Les réunions de famille sont toujours obscurcies de phrases vaines et douloureuses telles que « toujours rien ? » ou bien « vous allez vous décider à nous faire un petit ?… »

Aujourd’hui, Marie a 35 ans. Ils n’assistent plus aux repas de famille. Ils ont tout essayé, fait tous les examens, essayé des thérapies prometteuses, vu tous les médecins et même ceux qui ne le sont pas mais garantissent la solution, le remède, le miracle…

Chaque fête des mères est un jour de tristesse, un jour tout gris et tellement long qu’il semble durer un mois. Un soir, dans une salle d’attente, au hasard d’une xième visite chez un xième médecin, Marie prend distraitement un magazine, le feuillette et s’arrête sur un article traitant de la psychanalyse transgénérationnelle…
Soudain, elle lit la phrase suivante : « certaines causes généalogiques peuvent expliquer la stérilité ». Marie déchire cette page précieuse et la met furtivement dans son sac. Elle sent qu’elle vient d’ouvrir une porte, une dernière peut-être, mais une porte d’espoir…

L’infertilité

1.Définitions
Selon le Larousse, l’infertilité est « un état caractérisé par l’impossibilité pour une femme de mettre au monde un enfant viable » (1)

Une autre définition, un peu plus détaillée, peut aider à la compréhension du terme.
Selon le centre de procréation médical assistée (CPMA), l’infertilité correspond à « une aptitude diminuée à concevoir et à engendrer une descendance. De manière plus spécifique, elle correspond à l’inaptitude à concevoir après une année de rapports sexuels réguliers ».(2)

Le CPMA est un centre de procréation médical assisté situé, entre autres, en Suisse et qui travaille sur les problèmes d’infertilité et vise à élargir les connaissances sur le sujet et à améliorer les traitements tant de l’infertilité féminine que masculine.

Selon le CPMA, l’infertilité est en augmentation dans de nombreux pays. L’âge moyen des femmes ayant leur premier enfant augmente depuis les années 1970.
Ce constat s’explique par le fait que les femmes ont recours à la contraception ce qui fait reculer le moment où le premier enfant est conçu. D’autre part, l’envie de se réaliser dans une carrière professionnelle place le désir de concevoir en deuxième choix.
D’un point de vue statistique, l’INSERM (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale) a publié en Février 2012 une étude basée selon l’enquête périnatale de 2003 et l’observatoire épidémiologique de la fertilité en 2007-2008.
Il a été mis en évidence qu’entre 18 % et 24 % des couples ne parviennent pas à avoir un enfant après 12 mois sans contraceptio

2.Les causes

• Chez la femme :
Les causes d’infertilité chez les femmes sont nombreuses et d’origines variées. On retrouve des anomalies anatomiques congénitales (une atteinte des trompes par exemple), des anomalies anatomiques acquises (au niveau du col utérin suite à un curetage ou polypes, fibromes mais encore un obstacle tubaire suite à une salpingite, endométriose ou traumatisme chirurgical).

Les anomalies fonctionnelles peuvent également expliquer l’infertilité. Elles concernent les troubles de l’ovulation, absence ou un mauvais fonctionnement de l’axe hypothalamo-hypophysaire.
Enfin, les causes peuvent aussi être d’origine psychogène (stress, activité physique intense…)

• Chez l’homme :
Les causes peuvent être dues à une oligo-asthéno-térato-spermie (diminution de la concentration, de la mobilité et augmentation des malformations des spermatozoides), aux azoospermies (sécrétoires = absence de production de spermatozoïdes par les testicules ou excrétoires = conséquence d’une obstruction des voies excrétrices) et enfin au varicocèle (dilatation variqueuse des veines du cordon spermatique

3.La prise en charge
La prise en charge et la première consultation d’un couple pour infertilité doivent se réaliser avec prudence et en deux temps.
Un temps d’interrogatoire est nécessaire avant de procéder à l’examen clinique. Les deux membres du couple doivent être associés à égalité dans la recherche du diagnostic.
Chez la femme, on s’intéresse à l’âge actuel, à l’âge de la puberté et de l’apparition des premières règles. La durée de l’infertilité est également prise en compte ainsi que les antécédents chirurgicaux et infectieux, les douleurs pelviennes et les conditions de vie (stress, alimentation, addictions diverses…)
Chez l’homme, seront pris en compte les antécédents de pathologie testiculaire, les antécédents chirurgicaux, médicaux, les addictions (drogues, alcool, tabac…), une exposition professionnelle (chaleur, solvants organiques, pesticides) et les traitements antérieurs (chimiothérapie par exemple).


4. Les impacts psychologiques
Les couples infertiles, qui ont recours aux procréations médicalement assistées ou autres traitements disponibles pour les aider, sont souvent, confrontés à un « parcours du combattant ».
En effet, les traitements sont longs et contraignants. Ils peuvent provoquer des répercussions socio-professionnelles auxquelles s’ajoute une pression sociale, un stress et une obligation de résultats.
Au sein du couple les conséquences d’ordre psychologique diffèrent chez l’homme et la femme.
La femme ressentira une blessure narcissique, une atteinte à l’identité féminine. L’annonce de l’infertilité peut faire passer la femme par un éventail de réactions identiques à celles d’un deuil ou d’une maladie grave (révolte, culpabilité, recherche désespérée d’une cause et pour finir acceptation).

Chez l’homme, l’identité masculine est aussi menacée. Il doutera de sa virilité, provoquant une baisse de l’estime de soi et sa sexualité risque d’en être affectée. Il peut aussi ressentir des sentiments de colère, d’isolement et la sensation de ne pas être à la hauteur.

D’autre part, la sexualité du couple peut être perturbée, passant par des modifications précoces du rythme des rapports sexuels. L’infertilité a des répercussions sur l’initiative sexuelle, le plaisir et l’estime de soi.
L’infertilité, une fois diagnostiquée, va amener les couples à un véritable parcours du combattant. La prise en charge ne doit pas être uniquement « technique ». Il faut être attentif à chaque individu du couple, prendre le temps d’écouter les interrogations, lui laisser le temps d’exprimer ses émotions.

L’infertilité et ses cadenas transgénérationnels

Nous avons choisi d’exploiter un cas de la littérature, extrait du livre « Les verrous inconscients de la fécondité » de Joëlle Desjardins-Simon et Sylvie Debras.

C’est l’histoire d’un couple qui désire concevoir un enfant, comme pourrait en rencontrer une sage-femme dans sa pratique quotidienne. Cette histoire est intéressante au niveau de la multiplicité des éléments qui s’imbriquent et aboutissent parfois à l’infécondité (secrets de famille, deuils…).
Elle montre que l’infécondité est un symptôme qui peut en cacher d’autres, et masquer des souffrances qui seraient peut être réapparues à d’autres époques de la vie.

L’histoire d’une famille est souvent complexe à comprendre. A l’aide du génosociogramme , nous avons décidé de mettre en image l’histoire de ce couple et avons été aidé par un psychanalyste transgénérationnel qualifié en la matière.
Voici donc l’histoire d’Aline, 27 ans, qui est mariée et qui essaie de concevoir un bébé depuis 3 ans.

Mariée et heureuse, elle considère que tout va bien dans sa vie et qu’il n’y a rien à chercher dans son histoire personnelle.
Elle a été désirée, aimée par des parents qui s’entendent bien.
Il faudra plusieurs séances de psychanalyse transgénérationnelle pour qu’elle puisse formuler ses souffrances.
Il ne nous est pas possible de retracer en détails toutes les phases de l’élaboration du génosociogramme, aussi, nous en ferons apparaître les différents verrous mis en évidence au cours du travail que nous avons réalisé.

En ce qui concerne Aline

1. Fausse couche précoce: c’est « comme si » son utérus refusait la nidation d’un oeuf et l’expulsait dans les plus brefs délais comme nous l’explique le Dr Flaumenbaum qui voit là le témoignage des souffrances antérieures des femmes de la famille que l’utérus essaie d’expulser.

2. Diagnostic d’endométriose et de kystes: apparus un an après son mariage. D’un point de vue clinique l’endométriose empêche l’implantation de l’embryon et le kyste sur les ovaires provoque un dysfonctionnement au niveau de l’ovulation. La fonction reproductrice est perturbée.

3. Il apparait, au cours des entretiens, que contrairement à ce qu’Aline énonçait au début des séances, sa naissance n’était pas programmée par sa mère et « embarrassait » la vie de celle-ci.

4. Hypothèse d’un enfant de substitution: Aline semble avoir adopté, depuis toujours, une position d’aide, de soutien et d’accompagnement vis à vis de sa jeune soeur et ce, pour remplacer sa mère, décrite finalement comme dépassée, incapable et inadéquate. Cette hypothèse semble se confirmer puisque lorsque Aline prend son indépendance et parle de fonder une famille, sa cadette s’effondre complètement. Aline se trouve donc dans une situation d’échec dans la mission de maternage qu’elle s’est attribuée vis à vis de sa soeur. Elle a donc pris la place de sa mère et s’est positionnée en mère imaginaire. Dans ce cas, la place occupée par un enfant fictif, ne peut pas se libérer pour un enfant dans le présent.

5. On peut émettre l’hypothèse que la mère d’Aline est dans une situation de « névrose de classe ». D’un naturel timide et dépressif, elle n’a pas d’ambition et a servi un père autoritaire comme une esclave. Empêchée par son père d’aller plus loin que le bac, elle reprend tardivement ses études et finalise 5 ans d’université par un diplôme. Cependant, elle n’obtient jamais d’avancement. Dans cette situation, un individu est partagé entre son désir de réussite sociale et son souci de rester fidèle aux origines de la famille.

6. Aline reproche à ses parents de n’avoir jamais été assez stricts avec leurs filles. La famille, prise dans le mouvement post-soixante-huitard, a refusé l’autoritarisme d’antan. Aline ne s’est jamais sentie protégée par une quelconque autorité et elle a eu une adolescence rebelle et contestataire. Dans la famille, enfants et parents étaient sur le même pied d’égalité et tout le monde avait la même place. Or, pour donner la vie, il est indispensable et fondamental de s’inscrire dans la différence des générations. Mettre au monde des enfants, c’est à la fois donner naissance à la génération suivante et se séparer de la génération précédente. « Etre à sa place » revient de façon essentielle dans la question de la fécondité. Comment fabriquer la génération suivante tant qu’Aline ne peut pas basculer dans une position qui la placerait en adulte face à un enfant. C’est ce qu’on appelle la parentalisation et cela représente un autre « verrou » de l’infertilité.

7. Le père d’Aline, cinquième d’une fratrie de 10 enfants, d’un père violent, a été rêvé et attendu comme une fille par sa mère. Il n’a jamais affirmé sa virilité et se sentait plus proches de ses soeurs que de ses frères. Naître garçon quand les parents souhaitent une fille amène la question de savoir si les parents espèrent avoir un enfant pour lui-même (donc quelque soit son sexe) ou si la conception ne vise qu’à la venue d’un enfant de sexe différent. Dans ce cas, l’enfant est l’objet de déception parentale. La part féminine du père d’Aline est très présente au quotidien et elle le décrit d’ailleurs comme « une bonne mère ». Les rôles sont donc inversés au sein du couple de parents d’Aline.

8. Dans l’histoire transgénérationnelle de la mère d’Aline, il est à remarquer que trois générations de femmes ont été enceintes avant le mariage: l’arrière grand mère d’Aline, sa grand mère et sa mère. Cela était considéré d’un mauvais oeil par la bienséance de l’époque.

9. La grand-mère maternelle d’Aline meurt lorsque Aline et son mari décident de concevoir un enfant. Aline avait construit un lien affectif fort avec sa grand mère qui représentait pour elle un substitut maternel. Paul-Claude Racamier a souligné comment des deuils gelés, bloqués, non élaborés viennent souvent entraver la fécondité. Il y a un antagonisme entre donner la vie et supporter la mort et depuis la mort de sa grand mère, Aline n’a plus personne sur qui s’appuyer pour devenir mère.

En ce qui concerne Alain

Il accepte un entretien en même temps que son épouse.
Rencontres chargées d’émotions car il n’est pas toujours facile pour un homme d’oser livrer son histoire…
Cadet d’une fratrie de deux enfants, il a une soeur qui est son ainée de 4 ans.
Enfant prématuré, il a capté l’attention de ses parents à cause d’un état de santé gravement chancelant et ceux ci ont sans doute négligé de porter de l’attention à leur fille ainée.

Durant les quatre premières années de sa vie, sa soeur a reçu l’amour exclusif de ses parents. L’arrivée d’un autre enfant, de surcroit prématuré et ayant de gros soucis de santé, change cette exclusivité. Cependant, à quatre ans et en pleine construction de sa personnalité, la soeur d’Alain a encore besoin de l’attention de ses parents. Elle se sent donc totalement délaissée, abandonnée par eux.

1. Alain a développé un violent ressentiment et une incompréhension face à la jalousie de son ainée et ressent à son égard un violent sentiment de vengeance. On peut peut-être émettre l’hypothèse que ne pas donner un enfant à sa femme est une façon de régler un ancien contentieux avec le féminin.

2. La mère d’Alain, s’est mariée à 17 ans pour fuir l’emprise d’une famille de parents divorcés au sein de laquelle elle se sentait mal. Vivant avec une mère avec qui elle ne s’entendait pas, elle culpabilisait énormément de voir son père souffrir de la séparation avec ses enfants: cette situation fait référence à la notion de « loyanté familiale invisible ». Un système familial demeure en équilibre tant que la justice et l’équité existent entre les membres du clan. Si cette justice vient à manquer, des sentiments d’injustice, de ressentiment et de compétitivité apparaissent entre les membres de la famille. Si des dettes émotionnelles restent impayées, le « grand livre des comptes », des crédits et des débits, n’est plus en balance et une série de problèmes peut survenir, transmis de générations en générations, comme des accidents, des maladies ou des haines ataviques.

3. Un secret existe dans l’histoire de la famille d’Alain. Il décrit sa grand mère maternelle comme « lunatique, sadique et volage ». Elle est mariée avec le grand père d’Alain mais ses différents enfants sont issus de relations extra-conjugales. Ils portent toutefois le nom de famille du grand père. Ce secret de filiation sera longtemps gardé. Le secret de filiation est le plus dévastateur pour la construction de la personnalité. La mère d’Aline et ses frères et soeurs se construisent dans le mensonge d’un père qui n’est pas le même pour tous. Or, la vérité sur les origines est une condition fondamentale pour la construction de l’enfant. Il faut rappeler que pour le psychanalyste Didier Dumas , la construction mentale de l’être humain n’est pas individuelle mais transgénérationnelle. Ce qui signifie qu’elle se constitue, à sa base, chez l’enfant de moins de trois ans par la duplication inconsciente des structures mentales de ses parents.

4. Enfant de substitution: la mère d’Alain s’est beaucoup occupée de son frère cadet, issu d’une liaison de sa mère avec un homme alcoolique. Elle s’est occupée de cet enfant comme du sien. On retrouve donc de nouveau, une configuration de mère imaginaire s’occupant d’un enfant de substitution. La symétrie des histoires apparaît.

5. Le père d’Alain: a été abandonné à la naissance, placé en orphelinat et adopté par une femme âgée, seule et décrite comme dure, exigeante mais aimante. Il n’y a donc pas eu de grand père paternel dans la lignée d’Alain. Cela peut fragiliser la construction de l’identité et de la personnalité. Le père d’Alain a retrouvé sa mère biologique et a découvert qu’elle avait adopté une fille après l’avoir, lui, abandonné. Découverte lourde de sens…Son père biologique lui, ancien légionnaire, s’est marginalisé socialement et suicidé.

6. On peut donc dire que des fantômes subsistent dans la lignée paternelle d’Alain. Fantômes d’une situation difficile d’abandon, d’adoption et de père absent. Comment Alain pourrait il prendre une position de père alors qu’il navigue dans un tel brouillard? Le lien au père, ravagé sur deux générations, fait entrevoir comment devenir père est un pari risqué.

Conclusion

1.
Réaliser ce génosociogramme au départ d’un cas littéraire a été d’une grande richesse pour nous et a laissé entrevoir l’espoir d’un autre type de prise en charge de l’infertilité.
Toutefois, avant tout, la médecine traditionnelle doit exclure toutes les causes médicales de l’infertilité.
La psychanalyse transgénérationnelle devient alors un formidable outil à mettre en place parallèlement aux recherches et traitements médicalement classiques afin de créer une complémentarité des traitements qui ne peut qu’être bénéfique aux couples traversant l’éprouvant désert de l’infertilité.

Cet article s’inspire du travail de fin d’études intitulé « Infertilité et psychanalyse transgénérationnelle :Le transgénérationnel peut-il aider à lever les verrous de l’infertilité ?» qui a été réalisé par Mélissa Cortassa pour l’obtention de son diplôme de Sage-femme à la Haute Ecole de Hainaut Condorcet-Mons (Belgique), sous la tutelle de Madame Langue/promotrice, Monsieur Ramaut/directeur externe. Cet article a été redigé pour Généasens par Mélissa CORTASSA, sage-femme à Nice et Cathy LANGUE, sage-femme enseignante & maître de formation pratique HEPH Condorcet Mons (Belgique)

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