Éditorial n° 81

Terme peu courant, l’hormèse n’est cependant pas un nouveau venu dans les pages de Néosanté. Vous avez déjà rencontré ce mot dans plusieurs articles, notamment dans le dossier de février dernier consacré à l’antifragilité. Ce vocable désigne en effet le phénomène qui permet à tout système organisé, et singulièrement au corps humain, de profiter de l’adversité, des aléas et des contraintes pour gagner en robustesse. Soumis à de faibles doses de stress, un organisme vivant y réagit à bon escient et se renforce progressivement. L’exemple le plus simple de ce processus, c’est la musculation. Celle-ci provoque des microdéchirures dans la fibre musculaire et c’est en se réparant que la musculature gagne en volume et en puissance. Mais il n’y a pas que les muscles qui tirent profit de l’exercice physique. Comme l’explique Emmanuel Duquoc (lire page 6 et suivantes), tous les organes et toutes les fonctions du corps peuvent se « défragiliser» grâce aux efforts sportifs n’outrepassant pas certaines limites biologiques. Le phénomène hormétique est également favorisé par le jeûne et par quantité de techniques de santé naturelle consistant à chercher l’inconfort corporel, le yoga étant la plus emblématique d’entre elles puisque cette discipline exige d’adopter les positions les plus inconfortables. Les médecines douces les plus agissantes sont celles qui endurcissent comme autrefois, lorsque la vie était plus dure ! À l’inverse, c’est le confort de la vie moderne qui contrarie l’hormèse et nous rend de plus en plus fragiles. Dans son article, Emmanuel dresse un bref inventaire d’inventions funestes qui se retournent aujourd’hui contre l’être humain, et en particulier contre sa colonne vertébrale.

Mais il y a plus inquiétant que les sièges ergonomiques, l’aspirine ou l’air climatisé. Aujourd’hui, la loi de l’hormèse est kidnappée par les apôtres de la science sans conscience ! Par exemple, on entend dire que la vaccination n’est qu’une banale application hormétique puisqu’il s’agit de stimuler une réponse immunitaire au moyen d’agents microbiens. Ou bien que la pollution aux nanoparticules n’est pas à redouter, tant nos cellules en ont vu d’autres. Il est vrai que des chercheurs ont reproduit avec succès la méthode de mithridatisation, en référence au roi Mithridate qui absorbait chaque jour du poison pour se protéger de l’empoisonnement. En l’occurrence, des animaux de laboratoire soumis régulièrement à un rayonnement ionisant ou obligés d’ingérer quotidiennement de la dioxine sont devenus plus résistants à une irradiation massive ou à une brutale intoxication chimique. C’est évidemment la porte ouverte à toutes les aventures médicales et industrielles : sous prétexte que l’Homme s’habitue à tout, les apprentis-sorciers se sentent autorisés à jeter aux orties le principe de précaution ! Celui-ci est pourtant au cœur de l’œuvre de Nassim Nicholas Taleb, l’auteur d’Antifragile. La bonne hormèse, antifragilisante, consiste à se fier aux méthodes naturelles qui ont fait leurs preuves au fil des millénaires ; la mauvaise consiste à croire qu’une technologie sans impact sanitaire immédiat est forcément dénuée de danger. Pour Taleb, mathématicien-expert en calcul de risques, ce sont au contraire les artifices en apparence les plus inoffensifs – tels que les aliments transgéniques – qui sont potentiellement des bombes à retardement. Pas étonnant que l’ancien trader soit à présent la cible d’attaques virulentes de la part des fabricants d’OGM ! Faut dire que l’écrivain joue volontiers les Cassandre en mettant en garde contre des catastrophes écologiques majeures : non contents d’ignorer que la dose ne fait pas toujours le poison (par exemple les perturbateurs endocriniens qui nuisent en quantités infimes), les adeptes du progrès imprudent auraient le grand tort de mésestimer les interactions entre molécules toxiques, leur nocivité cumulative et leur action « non-linéaire », c’est-à-dire hautement imprévisible. Seule la nature et le temps long de l’évolution offrent des garanties de ne pas jouer avec le feu et de ne pas se tromper d’hormèse.

Ceci dit, ne versons pas dans le manichéisme. Entre l’hormèse 100% nature du modèle paléo et l’hormèse artificielle des chimiothérapeutes, vaccinateurs et autres mithridatisateurs contemporains, il y a la place pour une « manipulation » intelligente et raisonnée du mécanisme hormétique. Dans le traitement des allergies, par exemple. Pour les prévenir, on sait qu’il n’y pas mieux que l’exposition aux allergènes durant l’enfance. L’excès d’hygiène prive l’immunité d’une adversité nécessaire. Pour les guérir, on a donc mis au point la désensibilisation percutanée, hélas pas toujours efficace et parfois risquée. Moins intrusif : les allergologues procèdent désormais par voie sublinguale, avec des résultats qu’ils n’espéraient pas. Aux États-Unis, il existe même un complément alimentaire désallergisant qui semble bien fonctionner. Autre innovation médicale intéressante : l’ozone-thérapie. Comme l’explique notre journaliste Hughes Belin dans son reportage (lire page 28 et suivantes), cette médecine très répandue en Allemagne repose essentiellement sur le principe hormétique : en insufflant ou injectant le gaz, on provoque un stress oxydant qui suscite à son tour une réaction désoxydative de l’organisme. Parmi ses effets salutaires, il se chuchote que cette approche aurait des vertus anticancer extraordinaires, justifiant ainsi un recours prudent au phénomène de l’hormèse. Comptez sur nous pour suivre l’affaire !

Yves Rasir

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