DU PLACEBO AU NOCEBO L’incroyable puissance de l’esprit

Et si notre esprit avait autant le pouvoir de nous rendre malade que celui de nous garder en bonne santé ? Aux confins de la médecine et de la magie, le médicament placebo s’appuie sur la force du mental qui soigne. Il soulage la douleur, calme la toux, apaise l’anxiété, fait dormir le nourrisson insomniaque, parfois même guérit… Quant à l’effet placebo, il existe bel et bien. Ses bienfaits sont réels. Les nouvelles techniques d’imagerie cérébrale ont confirmé qu’il agit en suivant les mêmes voies neurobiologiques que celles empruntées par le soulagement médicamenteux, démontrant ainsi le lien étroit corps-esprit au cœur de la guérison. Parler de l’effet placebo renvoie aussi à son exact contrepoint, l’effet nocebo – nocif, lui, comme son nom l’indique. Le remède pouvant alors se transformer en poison… Grâce à plusieurs ouvrages récents parus sur le sujet, notre journaliste Carine Anselme a effectué une excursion au pays mystérieux du pouvoir de l’esprit. Elle en est revenue avec la conviction que la puissance des effets placebo et nocebo est vraiment stupéfiante, que le relationnel y joue un rôle majeur mais que cette force intérieure peut aussi s’apprivoiser. Elle est en vous !


Par Carine Anselme

L’effet nocebo

Comment se fait-il qu’un placebo – une gélule de sucre, une injection de solution saline ou une fausse chirurgie – provoque un pourcentage de guérisons surprenant ? L’effet qu’il produit, en tout cas, n’en finit pas de nous étonner… et parfois de détonner ! « Cette substance totalement dénuée de principes actifs se révèle parfois puissamment efficace », souligne de Dr Patrick Lemoine, auteur du remarquable ouvrage « Le mystère placebo » (voir « Pour aller plus loin »). Une chose est sûre : des personnes produisent des modifications physiologiques mesurables qui correspondent exactement au soin qu’elles pensent avoir reçu. Et si se pencher sur ce phénomène était l’occasion de réveiller les forces internes de guérison ?

Du flagorneur… au soulagement de la douleur

« Ce rien, cette illusion de médicament, porte un nom. C’est le placebo », précise Patrick Lemoine. Étymologiquement, placebo vient du latin et signifie littéralement « je plairai ». Sa signification a évolué au fil de l’histoire. Au Moyen Âge, le placebo est un terme liturgique qui concerne une Prière pour les morts (Psaume 116 : Placebo Domino in regione vivorum, « Je plairai au Seigneur sur la terre des vivants »). La tradition veut que cette célébration de recueillement soit suivie avec régularité et durant un certain temps par les parents des défunts. En cas d’indisponibilité, les proches prennent l’habitude de se faire remplacer par des pleureurs professionnels pour « chanter placebo ». Ce mot prend alors naturellement un sens péjoratif, renvoyant aux flagorneurs, donc plus largement au fait de « jouer un rôle, flatter ». « Le placebo est un opportuniste qui se fait passer pour la personne véritable, mais qui n’en sera jamais qu’un succédané », spécifie la psychologue Mireille Rosselet-Capt, qui a publié « Les fabuleux pouvoirs de l’effet placebo » (voir « Pour aller plus loin »). Il faut attendre le XIXe siècle pour voir le placebo prendre une signification médicale. Et sa première définition officielle apparaît, en 1811, dans un dictionnaire médical anglais : « Épithète donnée à tout traitement prescrit plus pour plaire au patient que pour le guérir. » À l’aune de cette définition, le placebo renvoie au mieux à la tromperie, voire au charlatanisme. « Cette connotation péjorative s’explique sans doute par le fait que les médecins tendent à douter de la réalité de l’effet placebo, car admettre son importance met en danger leur image et leur pouvoir », souligne Michel Le Van Quyen, chercheur à l’INSERM et responsable d’un groupe de recherche à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (Hôpital de la Pitié-Salpêtrière), dans son livre « Les pouvoirs de l’esprit » (voir « Pour aller plus loin »). C’est la Seconde Guerre mondiale qui va donner une description scientifique à ce phénomène, longtemps considéré comme peu sérieux. Œuvrant sur le front d’Italie, l’anesthésiste Henri K. Beecher recueille les victimes des bombardements
allemands. À court de morphine, impuissant devant ces soldats qui hurlent de douleur, il décide de leur injecter une solution saline à la place de la morphine, tout en leur annonçant que cette dose allait rapidement les soulager de leur souffrance. Quelle n’est pas sa surprise de constater que cette solution, dénuée de toute efficacité pharmacologique, soulage de nombreux blessés ! Devenu professeur à l’université Harvard, il publie, en 1955, une large étude sur plus de 1000 patients qui révèle que 35 % d’entre eux répondent positivement au traitement placebo. Plus spécifiquement sur le plan de la douleur, on sait aujourd’hui que le placebo induit un effet impressionnant, équivalent à 5 mg de morphine intraveineuse.

Des résultats qui parlent d’eux-mêmes

Ces premières observations ont été confirmées et largement étendues depuis, comme le décrypte en détail Michel Le Van Quyen : « L’effet placebo se constate invariablement chez environ 30 % des patients, toutes pathologies confondues, avec toutefois de fortes variations en fonction de l’affection, allant de 10 à 60-70 % ponctuellement pour les migraines ou la dépression, et jusqu’à 90 % pour l’arthrite. Comme pour un véritable médicament, on note une intensité qui dépend de la dose administrée, des actions limitées dans le temps, voire des accoutumances avec des phénomènes de sevrage… » Ce chercheur nous apprend également que l’impact dépend du mode d’administration de la substance. Ainsi, constate-t-on que l’injection est plus efficace que la gélule, qui est plus active que la pilule, qui fonctionne mieux qu’une simple potion, etc. Même la couleur du médicament joue un rôle prépondérant : la couleur blanche est préconisée dans le traitement de la douleur, tandis qu’une gélule rouge fonctionne comme un médicament stimulant, et qu’une gélule bleue constitue un bon remède apaisant ! Prendre quatre comprimés par jour a plus d’effet que d’en prendre deux et les gros cachets agissent mieux que les petits. Encore plus étonnant : un placebo cher est également plus efficace qu’un placebo bon marché ! « L’effet placebo est si puissant qu’il oblige, depuis des dizaines d’années, tous les médecins qui réalisent des essais thérapeutiques à le prendre en compte systématiquement : pour être efficace, un vrai médicament doit montrer des effets supérieurs à ceux d’un placebo », précise Michel Le Van Quyen. Pour autant, malgré son rôle essentiel dans la pratique médicale, l’effet placebo continue toujours à être réduit à un simple phénomène d’ordre psychologique, donc inexistant, si ce n’est dans la tête du malade. « Le placebo est à la croisée des chemins. Il représente le point nodal de la thérapeutique, entre pharmacologie, psychothérapie et magie, entre science et irrationnel », souligne le Dr Patrick Lemoine. L’occasion de rappeler que nous sommes des êtres complexes, dotés d’une chimie toute particulière, certes organique mais aussi psychique et métaphysique !

Du placebo à l’effet placebo

C’est au couple d’historiens de la médecine Arthur et Elaine Shapiro que l’on doit une « Histoire générale du placebo » qui a servi de base à tous les travaux postérieurs. Ils nous fournissent une définition classique : « Est placebo tout traitement (incluant médicaments, chirurgie, psychothérapie et thérapie charlatanesque) utilisé pour son effet d’amélioration sur un symptôme ou une maladie, qui se trouve être en réalité inefficace ou qui n’est pas spécifiquement efficace pour la condition traitée. » (1) D’après le Dr Patrick Lemoine, il faut toutefois distinguer le placebo de l’effet placebo. « L’objet placebo, c’est la poudre de perlimpinpin qui soulage, guérit parfois, à condition que le thérapeute et son patient soient réunis dans la même conviction. L’effet placebo est quant à lui très différent ; c’est ce petit supplément qui fait qu’un médicament actif le sera plus et mieux encore. Au lieu d’agir au bout de trente minutes pendant quatre à cinq heures, l’aspirine va être efficace tout de suite ou presque et ceci pendant toute une journée. » Il nous apprend ainsi que tous les médicaments de la création sont susceptibles d’être amplifiés, optimisés par ce phénomène. « (L’effet placebo) est le reflet de la qualité de la relation thérapeutique quand patient et médecin œuvrent ensemble et que la mayonnaise relationnelle a pris. Son carburant est l’espoir partagé de la guérison », poursuit-il. Le relationnel est donc au cœur de ce phénomène. Or, que demande en premier lieu, un patient à son médecin ? Contrairement à ce que l’on pourrait penser, enquêtes d’opinion à l’appui, ce n’est pas « science », ni « notoriété », mais « gentillesse » et « disponibilité ». En d’autres mots, la capacité à être bienveillant, rassurant, à l’écoute, empathique… Le temps, c’est de… la guérison ! Et la consultation a force de rituel.

Le Placebo, c’est vous !

Nous sommes à Troyes, à l’aube du XXe siècle… Dans son officine, un jeune pharmacien est confronté à un dilemme. Une femme très malade exige de lui une potion qui seule, selon elle, est susceptible de la soulager. Problème, les composants de cette formule sont si dangereux qu’il est interdit au pharmacien de lui délivrer la précieuse potion. Toutefois, l’homme sent que refuser cet espoir à cette femme revient à la livrer corps et âme à la douleur… Tant et si bien qu’il lui remet un simple flacon… d’eau aromatisée, en lui précisant qu’il renferme bien les fameuses molécules. Et, miracle, cette femme revient voir le pharmacien-sauveur, guérie ! Ce pharmacien éclairé, c’est Émile Coué. À partir de cet événement fondateur, il accompagne les médicaments prescrits de paroles encourageantes et rassurantes, même en l’absence d’un principe actif prouvé. Ainsi est née la méthode Coué ! Elle consiste à implanter dans l’esprit des patients une pensée positive « placebo » qui, à force de persuasion, est à même de provoquer la guérison. Autrement dit, cela marche parce que j’y crois ! Revers de la médaille : le succès est tel que cette méthode a été simplifiée à l’extrême jusqu’à la caricature, en en faisant une formule tout-terrain valable pour tout et pour tous… Pourtant, les principes qui sont à l’essence même de cette méthode trouvent un écho dans les récentes découvertes de la psychologie positive, étayées par les outils de mesure des neurosciences (imagerie de pointe, etc.) : nos pensées, nos émotions ont un impact sur la matière – nous avons le pouvoir de transformer notre cerveau, notamment grâce à cette fameuse neuroplasticité. « Il y a bien une force du mental qui soigne », s’enthousiasme ainsi le très médiatique Dr Frédéric Saldmann, sur les ondes de RTL, le 5 juin dernier, lors d’une émission consacrée à son best-seller « Prenez votre santé en main » (1). « On savait que le simple fait de croire quelque chose avec force et conviction avait un effet placebo, mais on a découvert récemment que cela a aussi un effet biologique en déclenchant une production d’endorphines spécifiques, proches de la morphine, appelées enképhalines. Autrement dit, nos croyances envoient un signal à l’organisme pour qu’il fabrique ses propres médicaments pour se soigner », poursuit-il. On peut donc être acteur de sa (bonne) santé en alimentant la puissance positive, transformatrice, de notre esprit.

Mesurer l’incroyable

L’existence et la puissance du phénomène « placebo » ne font de doute pour personne, mais sont encore aujourd’hui environnées de brume métaphysique. Pourtant, ces effets sont mesurables ! « Je crois qu’il y a une intelligence, une conscience invisible, à l’intérieur de chacun de nous, qui est dispensatrice de vie. Elle nous soutient, nous maintient, nous protège et nous guérit à chaque instant. Et nous pouvons collaborer avec elle », précise le Dr Joe Dispenza qui fait en sorte de démystifier scientifiquement le mystique de ce phénomène. Il y a trente ans, lors d’un triathlon, ce chiropracteur est renversé par un véhicule utilitaire et la médecine lui laisse alors peu d’espoir sur le fait de remarcher un jour. Contre toute attente, par le seul pouvoir de l’esprit (à force de concentration et de visualisation) et en refusant l’opération proposée, il guérit. Ce pionnier de l’auto-guérison suit alors une formation postdoctorale en neurosciences, mène de nombreuses recherches scientifiques et anime des séminaires dans le monde entier, dans lesquels il enseigne comment utiliser les découvertes les plus récentes des neurosciences et de la physique quantique pour reprogrammer le cerveau, éliminer les croyances limitantes et autodestructrices, afin d’accompagner au mieux la guérison et de mener une vie plus épanouie. Joe Dispenza vient de consacrer un ouvrage passionnant et particulièrement documenté au pouvoir de transformation de l’esprit, « Le Placebo, c’est vous ! » (Voir « Pour aller plus loin »). Aussi incroyable que cela puisse paraître, durant ses séminaires, où il dispense son expérience, ses connaissances et propose notamment de la méditation, des cas de rémission spontanée se produisent. Pour comprendre et mesurer les changements produits dans l’esprit et le corps des participants, il met sur pied, dès 2012, des ateliers profondément novateurs, où il convie des experts (neuroscientifiques, techniciens, spécialistes de la physique quantique) et leur matériel sophistiqué : électroencéphalographie pour mesurer l’activité électrique du cerveau (EEG), outil pour mesurer la variabilité de la fréquence cardiaque, scintigraphie cérébrale, etc. Dès le premier événement encadré de ce protocole scientifique, les résultats s’avèrent pour le moins déroutants : « Une personne atteinte de la maladie de Parkinson n’avait plus aucun tremblement. Une autre, qui souffrait d’un traumatisme cranio-cérébral, était guérie. Des participants atteints de tumeurs cérébrales ou corporelles constatèrent que ces excroissances avaient disparu. De nombreux individus souffrant de douleurs arthritiques déclarèrent ne plus ressentir de douleur pour la première fois depuis des années… Durant cet événement étonnant, nous avons finalement été en mesure d’apporter la preuve de changements objectifs, attestés par des mesures scientifiques, tout en documentant les changements subjectifs affectant la santé des participants », témoigne ainsi Joe Dispenza. À la lumière des neurosciences, on sait en tout cas à présent que les changements biologiques qui se produisent lorsque nous pensons à quelque chose sont les mêmes que ceux qui se produisent lorsque nous vivons en vrai l’expérience. Lorsque nous pensons, notre cerveau émet des substances qui produisent un ressenti, une émotion. Le tout impacte notre corps. Donc, le pouvoir de l’esprit est très effectif.

L’effet nocebo

Exact contrepoint de l’effet placebo, l’effet nocebo – nettement moins connu – est un phénomène mis à jour récemment. Le psychiatre Patrick Lemoine y a ainsi consacré un ouvrage-phare, après s’être penché dans un livre précédent sur le mystère du placebo. Nocebo renvoie à « nocif »… « Non seulement le traitement est moins efficace qu’il ne devrait, mais en plus il peut nuire du fait d’effets secondaires augmentés, inattendus ou aberrants », explique le psychiatre. Jusqu’à devenir toxique ! Médias, technologie, religion radicale, informations médicales, entre autres, ont leur lot d’effets nocebo. Allo ! Maman, bobo…

Un miracle… nocif

On parle beaucoup du miracle de la technologie qui envahit notre quotidien – avec, il faut le reconnaître, des bénéfices non négligeables. Mais ce miracle génère aussi des effets nocebo. Ne serait-ce que, très concrètement, la diminution avérée du nombre d’heures de sommeil, en raison de l’hyperconnectivité et de l’impact de la lumière « bleutée » de nos dispositifs sur la production de la mélatonine, qui ouvre la porte au sommeil. Or, ce déficit de sommeil engendre de multiples effets pervers, avec des répercussions sur la santé du corps et de l’esprit : facteur d’obésité, fatigue chronique, hypertension, fragilité émotionnelle, augmentation du risque d’infarctus et d’AVC… En outre, il semble, études à l’appui, que le manque de sommeil « débranche » le lobe préfrontal, partie-clé du cerveau, siège de notre mental adaptatif (capacité à relativiser, à traiter la complexité, la nouveauté, à faire preuve de souplesse…). Faut-il voir là l’une des raisons de l’augmentation de l’agressivité et de la violence ambiantes ? Sans parler des « pétages de plomb », de plus en plus courants et déstabilisants dans notre société… La question, en tout cas, est légitime.

Des infos à nous rendre malades

Cet effet nocebo a été clairement mis en évidence sur le plan des médias. Des médias capables d’altérer notre santé… Dans notre « village planétaire » (prophétisé dès 1967 par Marshall McLuhan), connecté 24h/24, le flux permanent d’informations aurait, en effet, le pouvoir de nous rendre malades, avec son cortège d’angoisse, d’insomnie, de dépression et autre mal-être… pouvant mener à d’autres pathologies. C’est prouvé : un stress constant active notre système d’alerte en permanence, provoquant une cascade d’effets physiologiques néfastes et rompant l’équilibre naturel des mécanismes biologiques. En fait, le stress intense nous place en mode « survie » (action/réaction), legs de nos lointains ancêtres préhistoriques devant réagir instantanément face aux dangers de leur environnement. Une fois notre archaïque cerveau reptilien à la barre, il se met en mode « feu rouge » et bloque donc l’accès aux autres cerveaux : limbique (associé à la gestion des émotions et l’apprentissage) et néocortex (adaptatif, réflexif). Impossible alors de penser ou de prendre du recul ! D’où cette impression que nous sommes nombreux à éprouver aujourd’hui d’être des passagers de notre vie, dépassés par les événements. Certes, l’information fait partie intégrante du vivant, depuis la nuit des temps, à travers une communication aussi subtile qu’utile au sein des réseaux. Et les humains n’ont pas l’exclusivité de l’info ; même les arbres communiquent opportunément entre eux ! Dans le meilleur des mondes, cette information sert à… informer : donner des nouvelles, prévenir utilement d’un événement ou d’un danger, etc. Une mission sociale dont le but est d’assurer une interconnexion fluide, harmonieuse, sûre et créative. Oui, mais voilà, nous ne vivons pas dans un monde idéal… L’actualité anxiogène, en ces temps troublés, est à la Une. Comme l’humain est un être complexe, pour ne pas dire paradoxal, nous la craignons autant que nous la recherchons, cette actualité-électrochoc ! À telle enseigne que la pierre angulaire du paradigme journalistique (d’ailleurs transmis sur les bancs de l’université) est ce qu’on appelle la « loi du mort kilomètre ». Autrement dit, l’intérêt du citoyen pour une information s’avère directement proportionnel à la proximité de l’événement et au nombre de victimes, dictant cyniquement les choix éditoriaux. D’où le succès, jamais démenti, des faits divers. Talonnés, récemment, par les attentats terroristes (Musée Juif de Bruxelles, Charlie Hebdo et Hyper Cacher à Paris, Musée du Bardo à Tunis, etc.), cataclysmes majeurs (tsunami, inondations…), guerres (Syrie, Ukraine…) et autres pandémies. Dans cette « société du spectacle », déjà dénoncée dans les années 1960 par Guy Debord dans son ouvrage éponyme, médias et audience sont intimement et insidieusement intriqués au sein de cet engrenage délétère. Mithridatisé à force d’entendre des infos-catastrophes, de (re)voir des images à forte charge émotionnelle, le public en vient, inconsciemment, à avoir besoin d’un « shoot » plus puissant pour conserver en alerte l’attention (et la tension). D’où une escalade dans la demande d’infos spectaculaires. Or, ce que le public veut… À ce « petit » jeu-là, les médias classiques ne sont plus seuls. Aujourd’hui, le citoyen ne se contente pas de consommer de l’information : il en produit. Avoir un Smartphone à portée de main peut suffire à créer un scoop planétaire (on l’a vu avec le lynchage en direct de Kadhafi). Et devient un outil de la propagande – notamment djihadiste. On ne diffuse plus de l’info, mais de la terreur ! « Via Internet et les réseaux sociaux, circulent toujours plus d’informations et d’images violentes, sans régulation, ni autocensure – contrairement à ce qui est en vigueur dans les médias traditionnels, qui s’imposent des règles déontologiques », souligne Marc Lits, membre de l’ORM (Observatoire de Recherche sur les Médias et le Journalisme à l’Université Catholique de Louvain), nous rappelant au passage que l’insécurité est à différencier du sentiment d’insécurité – que l’actualité anxiogène active en continu, distillant le poison du stress émotionnel, hautement toxique, dans notre organisme. La frontière entre information nécessaire et surenchère délétère est parfois mince, et demande – afin d’éviter ce fameux effet nocebo – d’exercer une grande vigilance et un tri sélectif. Gardons toujours à l’esprit que « le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire » (Einstein)…

Nocebo et nos bobos

Nous avons vu, plus haut, l’intrication positive du placebo dans la médecine et la puissance de l’optimisme dans la guérison, mais l’information médicale, notamment et a contrario, est aussi à même de générer des effets nocebo. Si les croyances peuvent avoir une action positive, il n’est pas étonnant qu’elles puissent également agir à l’inverse ! Dans cette optique, on peut penser que l’effet nocebo agit par les mêmes mécanismes que le placebo, mais de manière inversée. « Si le placebo agit en favorisant la fabrication par l’organisme de médicaments naturels, le nocebo agit en provoquant la libération de substances tout aussi naturelles, mais rendues toxiques en raison, par exemple, de niveaux excessifs de leur production », précise le Dr Patrick Lemoine, dans son ouvrage, « Le mystère du nocebo » (voir « Pour aller plus loin »). Il arrive qu’en fonction des quantités produites, la même molécule ait les deux fonctions, thérapeutiques ou nocives. Ainsi, le cortisol, hormone issue des glandes surrénales, permet-il de lutter (entre autres) contre l’allergie (effet placebo) et met l’organisme en alerte… mais si cette hormone est produite en excès, elle favorisera l’ulcère de l’estomac ou la dépression (effet nocebo). En évoquant cet effet nocebo dans la galaxie médicale, difficile de faire l’impasse sur ce fléau des temps modernes : l’hyper-information qui circule de manière incontrôlée dans les méandres du Web, notamment via les forums dédiés à la santé. Qu’un léger mal de ventre nous assaille, si nous allons consulter Internet, il y a fort à parier qu’on y décèle, témoignages à l’appui, les prémisses d’un cancer ou d’une maladie rare… Or, l’angoisse générée par ces informations infondées peut entraîner des symptômes physiques bien tangibles, ceux-là. Du nocebo à haute dose ! Notons aussi l’influence notoire de nos représentations et des croyances façonnées par la culture ambiante. Ainsi, Mireille Rosselet-Capt, cite-t-elle dans son livre consacré aux « Fabuleux pouvoirs de l’effet placebo » (voir « Pour aller plus loin »), l’exemple historique de « l’empoisonnement à la tomate » qui sévit au XIXe siècle aux Etats-Unis… « Cet exemple historique d’effet nocebo collectif illustre la manière dont nos attentes négatives peuvent créer certains symptômes », note-t-elle. À cette époque, en effet, la tomate, encore peu connue, était perçue par beaucoup comme un aliment toxique, si bien que de nombreuses personnes furent hospitalisées en présentant tous les symptômes du « tomato poisoning », une maladie étrange qui a bien évidemment disparu de nos jours…

Les Cassandre des cabinets

Que dire, également, de l’effet nocebo des annonces parfois abruptes, maladroites, voire angoissantes de certains médecins en consultation (par manque de temps, de psychologie ou par peur de la maladie ?) se transformant en Cassandre de notre horizon santé ?! Il apparaît clairement que la nature des informations diffusées par le médecin, à l’aune de ses propres croyances ou idées préconçues, a un impact sur le patient, positif ou négatif. Plus précisément, c’est une équation subtile qui se met en place Celle-ci entremêle croyances du patient et croyances du médecin. Médecin faisant figure d’autorité pour le patient, qui plus est généralement démuni vu son état. Un médecin de famille de Southampton, K.B Thomas, a fait une expérience édifiante. Il a sélectionné dans sa clientèle deux cents patients se plaignant de vagues maux (douleurs abdominales, douleurs lombaires, fatigue…) pour lesquels il lui était impossible de poser un diagnostic précis. C’est le Dr Patrick Lemoine qui nous relate la suite : « Il sépara ces patients en deux groupes, dont le premier fut l’objet d’une consultation dite « positive » : il leur affirma un diagnostic et les rassura vigoureusement en leur certifiant qu’ils se rétabliraient très vite. Aux patients du second groupe, il dit : « Je ne suis pas certain de savoir ce dont vous souffrez ; si vous n’allez pas mieux dans quelques jours, revenez me voir. » Au bout de deux semaines, 64 % des patients du premier groupe allaient mieux, contre 39 % de ceux de l’autre groupe. Effet placebo de la bonne prédiction dans le premier groupe, nocebo de la mauvaise dans le second. » Cette expérience démontre que le médecin peu sûr de lui, hésitant, en un mot anxiogène, induit des effets secondaires et ne favorise pas la guérison, au contraire. Plus grave encore, il arrive que certaines personnes tombent malades, voire décèdent, après avoir reçu un diagnostic erroné de maladie mortelle… Dans « Le placebo, c’est vous ! », Joe Dispenza, notre spécialiste des neurosciences, relate ainsi le cas de Sam Londe, un Américain, représentant de chaussures à la retraite. Au début des années 1970, éprouvant des difficultés à déglutir, il consulte un médecin qui lui diagnostique, sur un ton lugubre, un cancer métastasique de l’œsophage, incurable à l’époque. La messe est dite ! Sur sa recommandation, le patient recourt à la chirurgie afin d’améliorer son pronostic vital. Il subit une intervention de l’œsophage et de l’estomac, métastasé. Son état ne tarde pas à se détériorer – un scan du foie révèle que cet organe est aussi touché. Hospitalisé, défait par cette situation sans issue, l’homme demeure prostré, en attente de la Grande Faucheuse… Hormis un taux légèrement élevé de glucose et d’enzymes hépatiques, compréhensible dans son état, les examens additionnels ne révèlent rien de particulier. Une bénédiction vu son dossier ! Outre une diète, il reçoit soins et attention des soignants. Il commence à se sentir plus fort, son humeur s’améliore. Il exprime alors au médecin qu’il souhaite tenir jusqu’à Noël pour le vivre en famille. Sam Londe sort de l’hôpital fin octobre, et va plutôt bien. Il revoit régulièrement le médecin de l’hôpital, qui s’étonne que son patient aille de mieux en mieux. Pourtant, une semaine après Noël, il revient en urgence à l’hôpital, semblant proche de la mort. Ce qui étonne le médecin qui l’a vu relativement en forme, peu avant. Les examens médicaux, eux, ne montrent rien d’alarmant, à l’exception d’une légère fièvre et de petites taches de pneumonie aux poumons. Le médecin prescrit alors des antibiotiques et place Sam Londe sous assistance respiratoire… mais il meurt le lendemain. Normal comme point final, vu le cancer diagnostiqué ?! Pourtant… L’autopsie montre que le foie ne présentait qu’un minuscule nodule sur le lobe gauche et une petite tache sur le poumon. « En vérité, aucun de ces deux cancers n’était assez virulent pour le tuer. De plus, la zone située autour de son œsophage n’était porteuse d’aucune trace de maladie. La scanographie du foie avait apparemment abouti à un résultat positif erroné », précise Joe Dispenza. Moralité, Sam Londe n’avait visiblement pas succombé à un cancer, ni même à une pneumonie… « Il était mort tout simplement parce que tous ceux et celles qui constituaient son environnement immédiat pensaient qu’il était en train de mourir… Et plus important encore, lui-même pensait qu’il allait mourir », conclut Joe Dispenza.

Quand le placebo nuit

Plus étonnant encore, Patrick Lemoine pointe l’effet délétère de certains… placebos ! Il relève que l’administration d’une substance placebo – « un comprimé de rien du tout », dit-il – provoque souvent des effets secondaires : somnolence (24,7 %), fatigue (17,2%), troubles digestifs (16%), difficultés de concentration (13,2 %), maux de tête (11,6 %), bouffées de chaleur (11,4 %), tremblements (11 %), etc. Des symptômes qui, faut-il souligner, peuvent aussi être provoqués par n’importe quel médicament actif en tant qu’effets secondaires non spécifiques ; c’est-à-dire non liés à l’action pharmacologique propre au produit. « Il est intéressant de constater que le nocebo reproduit de manière très précise les différents maux que les médecins qualifient de fonctionnels et qui représentent plus de la moitié des causes de consultation en médecine générale et aussi une part importante des plaintes entendues par les spécialistes. On peut donc postuler que l’effet nocebo est une manière à la fois efficace et intéressante de provoquer de façon expérimentale les plaintes fonctionnelles de chacun de nous. Une manière dont nous disposons pour exprimer notre mal-être psychique. Bien que la preuve n’existe pas, faute d’étude, on peut supposer par exemple que les gens qui ont facilement mal à la tête éprouveront plus facilement des céphalées quand on leur donnera du placebo, donc de la poudre de perlimpinpin, d’autres se pâmeront, auront mal au cœur, se sentirons épuisés, s’endormiront », fait encore remarquer Patrick Lemoine.

Quoi qu’il en soit, placebo et nocebo nous invitent, de concert, à nous éveiller aux formidables pouvoirs de l’esprit pour prendre notre santé en main !

NOTE

  • (1) In The Powerful Placebo : from Ancient Priest to Modern Physician (John Hopkins University Press, 1997).
  • (2) Prenez votre santé en main !, Dr Frédéric Saldmann (Albin Michel, 2015).

Autothérapie placébo

Voici un court extrait de « Le Placebo, c’est vous ! » de Joe Dispenza :
« Plus vous croyez qu’une substance, une procédure ou une chirurgie peut fonctionner, car vous avez été au préalable informé des bénéfices qui lui sont associés, plus les chances que vous répondiez positivement à la pensée d’améliorer votre santé et de vous sentir mieux seront élevées. Autrement dit, si vous accordez une signification particulière à une expérience, un lieu ou un élément de votre environnement interne, vous serez certainement plus apte à modifier intentionnellement votre état intérieur par la pensée seule. Par ailleurs, plus vous serez enclin à accepter un nouveau résultat affectant votre santé – car vous aurez été dûment informé des récompenses possibles découlant de vos actions -, plus le modèle que vous créerez dans votre esprit sera clair et plus vous serez en mesure d’activer votre cerveau et votre corps pour atteindre et reproduire précisément ce résultat-là. En conclusion, plus vous croyez en une cause, plus l’effet sera manifeste. »

Partagez Néosanté !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée Champs requis marqués avec *

Poster commentaire