Le corps à la source du choix

Que savons des réelles facultés de notre corps ?

Dans notre culture européenne, nous sommes imprégnés d’un facteur d’oubli fondamental qui nous fait considérer notre propre corps comme une chose… une chose utile, certes, dont il vaut mieux dans le meilleur des cas prendre soin, mais qui peut être souvent vécue comme encombrante.
Cette chosification du corps est le résultat d’une pensée de séparation ancienne qui a mené à une perte fondamentale d’identité : qui peut prétendre complètement savoir qui il est ?


C’est un paradoxe remarquable : à une époque où nous utilisons les termes, esprit, conscience, âme, identité et même corps, individu et matière, assez fréquemment, je pense que peu de gens savent exactement à quoi ils font réellement référence.
Dans cette ignorance, ou cette confusion, il est encore plus étonnant que le corps soit ramené à un objet, alors que finalement c’est la seule part de nous-même assez concrète pour que nous ne puissions douter de son existence. De plus alors que la notion de vie après la mort n’est au mieux qu’une croyance, ce même corps est de manière évidente le seul lien concret que nous ayons à la vie : nous naissons avec et nous mourrons avec lui.

Le pragmatisme, même et surtout en matière de spiritualité serait de commencer par faire l’état des lieux de ce que nous avons comme bagage. Ai-je une conscience ? Ce n’est pas si sûr puisque ce terme n’est pas défini. Suis-je sûr d’avoir une âme ? Vais-je vivre quand mon corps sera éteint ? Une intelligence supérieure existe-t-elle et veille-t-elle avec bienveillance sur moi ?…. toutes ces questions et bien d’autres ne sont en fait que des spéculations en regard de ces questions simples :
Ai-je un corps ?
Oui.
Est-ce que je sais ce qu’il est ?
Non.

le corps est l’enfant intérieur

Comme c’est notre base, la seule chose réelle, je pense qu’il est de notre devoir de bon sens envers nous-mêmes de se pencher sur cette réalité-là et de tenter de la comprendre. Par comprendre, j’entends : entrer en relation et explorer cette relation jusqu’à ses limites intimes pour voir ce que l’on devient au contact de cela.

Entrer en relation avec l’intelligence de notre corps, comment faire ?
On ne peut voir que ce que l’on veut bien voir : si l’on tient mordicus à la vision matérialiste de l’être, ce n’est même pas la peine d’essayer : de nombreux champs de connaissance nous confirment que l’expérimentateur n’est pas séparé de l’expérience, que nous « assemblons » le réel qui nous entoure à partir de nos croyances profondes, que le « monde » qui nous entoure est l’image de notre microcosme… alors rencontrer notre corps dans sa dimension intelligente signifie que nous devons faire une petite brèche dans la carapace de nos atavismes ancrées pour sortir progressivement de la chosification.
C’est un chemin qui se fait petit à petit, pas à pas.
Personnellement, cela fait des années que je pratique une danse avec mon épouse qui nous mène à l’écoute de cette intelligence de dedans en lui laissant la place et que j’exerce en tant que thérapeute le dialogue conscient par le contact physique avec le corps de mes patients… et je n’ai pas la sensation d’avoir fait le tour de l’affaire ! Chaque jour je redécouvre les subtilités que notre corps-intelligence, notre corps-vitalité recèle, et chaque jour également je constate à quel point la pensée de chosification est bien ancrée en moi et combien il est long de changer son propre regard…

Aller à la rencontre de cela c’est entreprendre un long chemin, qui nous force à de plus en plus de délicatesse, car ce corps se comporte exactement comme un enfant : il est capable de sourire, de partager, de participer, d’émettre des vagues de bonheur, de sensations folles, de fournir des mots, des images, des certitudes, d’être un compagnon de route pour nous…. comme il est capable à tout instant de se retirer, de se fermer dans son mutisme, de redevenir froid comme un objet… de nous donner l’impression que nous avons perdu tout le bénéfice de nos efforts précédents juste parce que notre attitude s’est un peu écartée de la justesse… de la tendresse.

Beaucoup de personnes parlent aujourd’hui de leur enfant intérieur, beaucoup aimeraient savoir où il se trouve. Mon expérience me fait penser que l’enfant intérieur, c’est ce corps.

Que fait-on avec un enfant ?
On peut lui faire faire des choses. On peut le faire en pensant sincèrement que c’est bien pour lui… mais ne jamais lui demander. C’est ainsi que fonctionne l’éducation nationale en France encore aujourd’hui : apporter à l’enfant des connaissances dont il n’a pas eu le temps de manifester le besoin ni l’envie. Je pense que c’est aussi ce que font de nombreuses personnes qui prennent soin de leur corps : elles lui font faire ce qu’elle pensent être bon pour lui : du sport, de la méditation, du yoga… sans pour autant aller à la rencontre de son intelligence, sans se mettre à l’écoute de son envie, sans se laisser surprendre par elle.
Là encore, il s’agit d’un long chemin de rééducation de soi-même : faire confiance à la vie en soi, juste l’accompagner avec bienveillance, constance et patience.

qui fait les choix qui nous gouvernent ?

Pourquoi ne vivons-nous pas spontanément cela ?
La sagesse populaire nous dit : le cœur a ses raisons que la raison ignore… le corps aussi !
Nous mésestimons largement les capacités de ce corps si malmené, déconsidéré.
Avant d’envisager toutes les merveilles qu’il est sans doute capable d’effectuer, avant de rêver aux pouvoirs magiques qu’il peut sans doute déployer (ce que l’on nomme un peu à tord, pouvoirs psychiques), il convient de se pencher sur les pouvoirs qu’il manifeste d’ores et déjà.
Je ne parle pas non plus des performances ou compétences remarquables de certain individus comme les sportifs de haut niveau. Je parle de choses plus banales, partagées par tous, quelque soit l’état de santé ou la forme du corps.

Nous ne reconnaissons en général que des fonctions bien « organiques » à notre corps : bouger, manger, digérer, grandir, percevoir… qui sont en réalité des fonctions externes, et qui parlent d’aspects qui rentrent facilement dans la vision matérialiste que nous avons de lui.
Nous avons même la certitude que nous sommes libres de mener notre vie, dans la limite où notre corps peut suivre, et que ce corps ne fait qu’obéir à nos choix conscients, exception faite des tâches « automatiques » comme par exemple la digestion dont nous sommes bien contents de ne pas avoir à nous occuper. Ces tâches automatiques sont elles-mêmes considérées comme de basses-tâches que notre part machine peut très bien réaliser.

Je pense de plus en plus, et la pratique de soins basée sur cette conception que j’ai développée m’en donne confirmation que bien au-delà de nos fonctions physiologiques, l’ensemble intégral du corps est un opérateur de choix. Je considère que ces choix sont des décisions pragmatiques prises par ce corps-enfant intérieur qui englobent tous les aspects de notre vie : non seulement les besoins vitaux, mais également les modes relationnels que nous établissons, les systèmes de croyance auxquels nous tenons, et même la plupart de nos idéaux dits élevés.

Je ne limite pas du tout l’être humain à la dimension de son corps physique, mais je crois que nous l’avons trop déconsidéré et qu’il est temps de reprendre la mesure de ses fonctions : je considère donc que l’activité réelle du corps est une activité psychique.
En effet, je suis convaincu que celle-ci devrait se faire en relation avec des aspects plus « spirituels » de notre être afin de prendre sa réelle dimension, mais que sans cette relation, c’est-à-dire dans l’état où se trouvent la plupart d’entre nous dans notre société, le corps à lui seul est apte à réaliser une vaste quantité de choses allant de la survie à l’élaboration de thèses philosophiques…
en réalité, je pense que notre corps-enfant, coupé de liens plus « spirituels » entre dans un mode de survie. Il a la capacité de déterminer avec une fulgurante précision quelles sont les choix et attitudes à adopter dans tel ou tel environnement pour se donner les meilleures chances de survie, et d’adapter en fonction de cela son propre fonctionnement.

Pour tout dire, ma pratique m’amène à cette idée que non seulement nos structures psychiques ne sont rien d’autres que des modes de fonctionnement de notre corps, mais également que ces fonctionnements sont le résultat de choix qui émanent du système corps-enfant.
L’enfant intérieur scanne l’environnement et en fonction de ce qu’il y perçoit comme contraintes et de ce qu’il se connaît lui-même comme ressources et facultés spécifiques, il va faire le choix de dévier son propre fonctionnement.
Ces choix sont le socle de nos carapaces psychiques.
C’est ce que les Toltèques nomment accords.

Comment délier les accords en soi ?

La particularité de nos carapaces psychiques est que les changer échappe pour l’essentiel aux efforts que nous pouvons faire dans ce but.
Si l’on revient sur cette analogie corps-enfant intérieur, cela devient facilement compréhensible : le corps chosifié est comme un enfant malmené, déconsidéré et qui a perdu confiance dans les adultes et a trouvé ses propres solutions, tout seul. Ces solutions sont valables, même si elles nous rendent inaptes : ce sont des solutions vitales qui répondent à un équilibre extrêmement complexe que notre raison seule ne peut appréhender. Cet équilibre n’implique pas seulement la personne elle-même, mais tout le tissus social auquel elle appartient, et de façon plus large à tout ce qui y est relié, c’est à dire, quasiment, tout le cosmos… au moins tout ce qui est manifesté.
Changer cette structure ne peut relever, et heureusement d’un « faire » : si c’était le cas, ce serait catastrophique, car nous n’avons aucune idée des conséquences globales d’une action locale focalisée.

Alors comment faire si l’on ne peut pas « faire » ?
On peut dire objectivement que le chemin d’évolution réel comment lorsque l’on fait pleinement ce constat de notre impuissance à faire. Nous pouvons passer des années à jouer avec nous mêmes, à tenter de nous améliorer, à essayer d’être plus positif, plus généreux, plus ceci, plus cela… et comme un élastique tendu, nous vivons invariablement des retours difficiles. Nous nous sommes tous heurtés des dizaines, des centaines de fois la tête sur le même mur avant d’accepter d’arrêter.

Cet état particulier que l’on atteint lorsque l’on perd toute motivation à faire n’est pas forcément du laisser-aller ou de l’abattement, c’est un état d’éveil à ce qui est là. C’est le début de la véritable rencontre avec notre corps et avec ses choix.
Cette confrontation est une relation qui impose le respect et nous force à la considération. Lorsque l’on perd la volonté d’agir, il devient possible de voir, et même d’être avec ce que nous avions précédemment tenté de fuir par tous les moyens.
Lorsque l’on cesse de lutter tout en restant là, le corps se remet à vibrer, il reçoit naturellement des vagues d’attention… un amour hors du temps, non causal.
Quelque part, lorsque tout semble perdu, c’est là que quelque chose se passe : cela se passe… sous nos yeux, avec nous.

C’est une attitude de fond vers laquelle on peut aller mais que l’on ne peut créer.
C’est pourtant le seul chemin.
Nous ne pouvons faire mieux que d’éprouver une profonde compassion et un profond respect pour les choix que notre corps-enfant a élaboré, et être réellement désolé de l’avoir laissé si seul. Cette prise de conscience n’a rien a voir avec le mental… elle est en substance silencieuse

C’est le baiser fait au corps de ce qui en nous transcende le corps.
J’estime qu’il n’y a pas d’autre thérapie que celle-ci, et que ce point central, le nœud de toute guérison, ne dépend d’aucune technique. J’ai pour ma part développé une approche de soin qui passe par le contact manuel avec le corps. Je l’ai voulu cohérente avec cette vision, et je sais pourtant que lorsque quelque chose se passe dans mes soins, cela ne dépend pas de tel ou tel aspect de ma « technique »… et je suis content avec cela, car c’est ce qui permet de laisser de la place à la surprise, à la magie.

Quand le corps sourit, tout chante dans l’univers.

Nicolas Bernard

Ancien élève de l’ENS Ulm, passionné par la compréhension de la nature de l’esprit et de la conscience, Nicolas Bernard s’est rapidement éloigné de la recherche scientifique pure pour s’imprégner des sagesses orientales et amérindiennes, et s’est tourné vers le métier de thérapeute au sein duquel il concilie son constant besoin de chercheur et d’aide relationnelle aux autres. Afin de répondre à des questions concrètes sur le sens des maladies et de pouvoir l’appliquer directement à sa pratique manuelle, il a développé la thérapie manuelle Atanakor, basée sur une description du corps comme processus d’évolution de l’être. Il enseigne cette approche dans le Pays Basque et dans le Var.
Avec sa femme Ena, il investit la danse comme un moyen d’évolution naturel privilégié.
www.atanakor.com
www.earthdanse.com

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