ISABELLE CHALLUT : « Il faut rendre la maternité aux femmes »

Infirmière diplômée en 1986, Isabelle Challut a d’abord travaillé dans le milieu hospitalier en France et en Suisse avant de s’installer au Québec, il y a plus de 20 ans. À travers son cheminement personnel et professionnel, elle est devenue accompagnante à la naissance. Elle a développé une expertise et une passion pour l’accouchement naturel, respectueux du rythme physiologique de la mère et de l’enfant. En 2005, elle a créé au Québec le Centre Pleine Lune, un lieu d’accompagnement et d’enseignement pour les parents et les professionnels. Ses activités de formatrice en périnatalité l’emmènent aussi en France, en Belgique et en Suisse . Elle partage son parcours et ses connaissance à travers son livre : La maternité au féminin , et dans deux ouvrages collectifs : Devenir soi et Dire oui à la vie . Elle nous livre ici de précieuses réflexions concernant la naissance dans nos sociétés.

Propos recueillis par Cyrinne Ben Mamou

Isabelle Challut, qu’est-ce qui vous a amenée à vous consacrer à l’accouchement naturel ?
Ce sont d’abord mes propres accouchements. J’ai deux enfants. Ma fille est née par césarienne il y a 25 ans. Huit ans plus tard, j’ai mis au monde mon fils, à la maison, de façon complètement naturelle. Cette expérience-là m’a vraiment transformée. J’ai vécu ce que pouvait être un accouchement naturel pour une femme. C’était totalement différent de ce qu’on m’avait appris en tant qu’infirmière. C’est alors que j’ai commencé toutes mes recherches.

Que s’est-il passé entre vos deux accouchements, pour que vous fassiez ce choix s’accoucher à la maison la deuxième fois?

Lors de ma seconde grossesse, j’ai consulté une homéopathe qui m’a demandé de parler de mon premier accouchement. Je me suis mise à pleurer sans même savoir pourquoi. Je suis entrée en contact avec ce que j’avais vécu lors de la césarienne. Le désir d’accoucher de façon naturelle est alors monté de façon viscérale, instinctive. C’était un défi, il y a 18 ans, d’avoir un accouchement vaginal après césarienne (AVAC). Nous savons maintenant que si la première césarienne a été bien faite, il est beaucoup plus sûr d’accoucher ensuite par voie naturelle, que par césarienne. Malgré tout, certains médecins sont encore réticents à pratiquer des AVAC.
Dans votre livre La maternité au féminin, vous livrez des témoignages de parents qui se heurtent à des pratiques médicales très éloignées de leurs attentes. Beaucoup se retrouvent impuissants à faire valoir leurs droits. Il est trop tard quand il en mesurent les conséquences. Est-ce fréquent ?
Dans notre culture médicale actuelle, c’est très fréquent. C’est ce que j’ai trouvé le plus dur dans ma pratique hospitalière en tant qu’infirmière. Dès qu’un individu rentre à l’hôpital, il met une jaquette et doit se conformer aux protocoles. Le patient est réduit à l’acte médical normalisé qu’il subit. Le personnel médical n’est pas formé à accompagner dans ses besoins individuels une femme qui accouche en écoutant son corps, parce qu’elle bouge beaucoup. C’est encore souvent perçu comme dérangeant. Or, une femme qui accouche est avant tout hyper-vulnérable. Tant qu’il n’y a pas de danger réel pour la mère et l’enfant, l’entourage doit se plier aux besoins de la femme dans le respect total de son processus. Malheureusement, dans le milieu hospitalier, on exige des femmes qu’elles s’adaptent aux besoins des équipes médicales. Une grande partie de mon travail consiste à faire valoir les besoins du bébé et de la mère.


Comment faciliter la coopération entre les parents et le personnel médical ?

Mes recherches de ces vingt dernières années viennent beaucoup de ce questionnement. Pourquoi est-il devenu si difficile d’accoucher ? Pourquoi les taux de césariennes, d’épidurales et d’inductions augmentent continuellement ? Parce que le milieu médical traite les accouchements en terme de gestion de risques, soumis à des normes et à des protocoles fixes. Or l’accouchement est un processus naturel, pas un accident ni une maladie. Son déroulement et sa durée varient beaucoup d’une femme à l’autre. Pour éviter les heurts, la meilleure solution c’est l’information. Trop d’interventions sont encore pratiquées sans que les parents en comprennent l’enjeu et les raisons. À travers des cours et des écrits, je diffuse l’information sur l’accouchement physiologique et les interventions médicales. Au lieu de s’opposer au milieu médical, mieux vaut permettre aux parents de faire des choix éclairés et d’en discuter avec le personnel hospitalier bien avant l’accouchement.

Quelle information vous semble la plus importante à transmettre ?

Il est fondamental de comprendre que l’accouchement est un processus physiologique instinctif qui nécessite un certain abandon de la part de la femme. Elle n’atteint cet état que dans un climat de sécurité, avec un minimum d’inquiétude et de stress. Alors la douleur diminue, la femme écoute son corps, bouge instinctivement pour faire naître le bébé. Son mental décroche et son corps sait exactement quoi faire.
Le drame des accouchements au XXIème siècle, c’est que les femmes ont l’habitude de contrôler et d’organiser leur vie. Le jour de leur accouchement, c’est un défi de laisser faire leur corps. Quand le travail dure des heures ou des jours, autant la femme que son entourage se disent qu’ils n’ont pas que ça à faire. Si les femmes comprennent ce qu’est un accouchement physiologique, leur rapport au temps et à la douleur change et elles s’abandonnent au processus naturel.

Quels outils recommandez-vous pour rééduquer le rapport au corps et au temps ?

La préparation la plus importante est celle qui ramène à l’écoute de soi. J’encourage les femmes à pratiquer une approche corporelle comme le yoga, le qigong, la méditation, l’anti-gymnastique ou toute autre discipline qui les amène à l’écoute de leur corps et non du rationnel. Connaître son corps diminue la peur et donne confiance en ses propres ressources instinctives.
La connaissance de la physiologie de l’accouchement est également importante. Ensuite, de bien prévoir le lieu d’accouchement. Les possibilités dépendent des pays. Au Pays-Bas, les sages-femmes sont en première ligne et environ 30% des naissances ont lieu à domicile. Au Québec, à peine 2% des accouchements ont lieu en maisons de naissance ou à domicile. Il faut aussi que le père soit à l’aise avec le lieu d’accouchement, parce qu’un conjoint hyper-stressé risque de créer un climat insécurisant. D’où l’importance de l’accompagnement prénatal par une personne qui peut les rassurer tous les deux.
Il faut aussi savoir qu’il n’y a pas d’accouchement idéal : on a beau se préparer, on ignore ce qui va se passer à l’accouchement. C’est une source de difficulté pour les femmes qui veulent absolument accoucher de façon naturelle à la maison. S’il y a un imprévu qui les oblige à aller à l’hôpital, ou à accepter une intervention médicale, elles risquent de le vivre comme un échec parce que leur plan ne s’est pas déroulé selon leur volonté. Mettre un enfant au monde est un apprentissage de lâcher-prise par rapport à un idéal. Quand les parents ont intégré qu’ils vont accompagner leur enfant quoi qu’il se passe, cela transforme leur attitude.

Qu’en est-il de l’ocytocine synthétique ?

L’ocytocine chimique contracte l’utérus et accélère le travail. Mais elle ne peut pas activer les fonctions neurologiques, le lien d’attachement, l’allaitement, qui nécessitent les hormones naturelles. Quand j’ai invité Michel Odent à Montréal en 2011, il m’a dit qu’aujourd’hui en France, la plupart des femmes qui accouchent à l’hôpital reçoivent de l’ocytocine synthétique. C’est pareil au Québec. D’ici quelques années, peut-être qu’aucun enfant ne naîtra avec l’ocytocine de sa mère. Quand on connaît l’impact de cette hormone sur les liens d’attachement, on s’inquiète des conséquences sur la structure de nos sociétés.
Beaucoup de parents ignorent que les hormones de synthèse et les anesthésiques influencent le développement à long terme. Ils voient les interventions médicales comme un progrès qui permet de réduire la douleur. Une fois qu’ils comprennent l’importance des hormones naturelles, ils préfèrent respecter le rythme naturel de la naissance.
Aux débuts de l’obstétrique, on pensait que les interventions allaient sécuriser les accouchements. Finalement, on se rend compte que trop d’interventions augmentent les risques. Au Québec, le ministère de la santé recommande maintenant les accouchements physiologiques naturels, parce que les interventions médicales ont augmenté la morbidité. Sauf que la mauvaise information s’est tellement installée, que c’est difficile. Certaines infirmières n’ont jamais vu une femme accoucher sans épidurale. En Occident, vivre ce passage comme une initiation, ce n’est vraiment pas populaire. La croyance dominante, c’est que l’accouchement physiologique = douleur. C’est faux. J’ai vu des dizaines de femmes accoucher sans souffrir, grâce à leurs endorphines et au support des personnes présentes.

C’est ce qu’on appelle l’accouchement orgasmique ?

En effet, un certain nombre de femmes ont des orgasmes en accouchant. Grâce au taux d’endorphines sécrété, le passage du bébé peut se vivre d’une façon qui apporte du plaisir. Cela arrive le plus souvent dans les accouchements à la maison. Mais c’est tabou. Comme on répète tellement qu’un accouchement est douloureux, une femme qui a du plaisir n’ose par le dire la plupart du temps.
Une grande partie de la douleur est due au mauvais positionnement des femmes, au manque de mobilité et au stress. Mais quand on les amène dans un environnement sécurisant à se laisser aller complètement, cela se passe très bien. C’est comme pour la sexualité. Il s’agit de la même région du corps, des mêmes hormones, donc du même besoin de sécurité et d’intimité.

Le rapport entre l’accouchement et la sexualité est tel que des mémoire dormantes dans le corps sont réveillées à cause de l’hyperstimulation du bassin. Qu’en est-il des mémoires traumatiques ?

Idéalement, les personnes qui accompagnent l’accouchement devraient savoir si la mère a déjà vécu des violences sexuelles. Même si elles ont fait un travail psychothérapeutique, ces femmes violentées peuvent vivre un réveil de souffrance. Cela devrait être expliqué en prénatal, parce que beaucoup l’ignorent. Il faut distinguer la douleur de la souffrance. Un accompagnement adéquat permet de bien tolérer la douleur de l’accouchement. Quand cela devient de la souffrance, de la détresse, cela doit être soulagé. Il est possible qu’une femme soit incapable d’accoucher naturellement parce qu’elle a subi un viol ou de l’inceste. Elle risque de se désorganiser, de devenir vraiment souffrante. Si elle-même et les accompagnants n’ont pas été préparés, c’est certain qu’elle aura besoin d’épidurale. Il ne faut pas que l’accouchement soit synonyme de détresse, parce qu’il y aurait un impact négatif sur le lien d’attachement avec l’enfant.

Sachant que ces mémoires traumatiques se transmettent de façon transgénérationnelle, la douleur de l’accouchement pourrait-elle être en grande partie le réveil de mémoires inconscientes ?

J’en suis persuadée, pour avoir accompagné des femmes qui accouchent en étant juste dans l’instant présent. Cela peut être intense, mais serein. Donc toutes ces femmes qui hurlent en accouchant, qui décompensent, qui souffrent, de quoi témoignent-elles ? C’est ainsi qu’il y a des lignées de femmes qui accouchent par césarienne de mère en fille. J’ai accompagné une femme qui souhaitait un accouchement naturel, après un premier par césarienne. Autour de la vingt-cinquième semaine, elle s’est mise à avoir des douleurs atroces. Aux examens médicaux, tout était normal. Alors je me suis demandé si elle n’avait pas vécu un trauma sexuel. Elle me l’a confirmé, en disant que c’était réglé grâce à dix ans de thérapie. Pourtant, plus le temps avançait et plus c’était difficile. En sachant qu’elle n’aurait pas de césarienne, son corps hurlait. Ce fut une excellente chose que je sois au courant, parce que j’ai pris vraiment soin d’elle.

De quelle manière l’avez-vous accompagnée ?

D’abord elle a re-verbalisé son histoire pendant sa grossesse, elle a pleuré et elle a reçu des soins énergétiques, pour faire circuler cette histoire dans son corps. Pendant l’accouchement, elle a crié très fort et nous l’avons accompagnée dans une réassurance verbale et par un toucher sécurisant. Sachant qu’au moment du passage, ces mémoires douloureuses pouvaient être réveillées, elle a mieux accepté son ressenti.
Le stress peut être un facteur de ralentissement ou de blocage. Elle avait reconnu que si l’accouchement se prolongeait, elle accepterait une intervention de soulagement afin que l’expérience ne soit pas traumatique. Cette jeune femme a réussi à accoucher par elle-même, naturellement, et a vécu une magnifique guérison. C’était beau à voir. Beaucoup de femmes vont toucher à cette puissance de donner la vie. C’est devenu très marginal, pourtant c’est accessible grâce à un accouchement physiologique.

C’est ce que dénonce Marc Girard, dans son livre La brutalisation du corps des femmes … : la médecine peut couper les femmes de leur puissance et de leur pouvoir.
C’est aussi pour cela que j’ai intitulé mon livre: La maternité au féminin. Beaucoup m’ont dit que c’était un pléonasme. Mais non, dans la réalité, la maternité n’appartient plus aux femmes. La médicalisation de la grossesse et de l’accouchement est une attitude très masculine. Depuis des décennies, on dit aux femmes ce qu’elles doivent faire. Dans la position classique à l’hôpital, la femme est couchée sur le dos, le sacrum écrasé et on lui dit de pousser. Elle pousse tout : le bébé et ses organes, la vessie, son urètre, les tissus de son périnée. C’est inhumain de faire pousser une femme continuellement pendant des heures. Lorsque les femmes sont libres de leurs mouvements, elles vont la plupart du temps choisir une position dans laquelle elles sont suspendues par les bras ou soutenues par derrière. Ainsi, la gravité leur facilite la tâche. Comme le périnée flotte librement, quand il s’ouvre, le bébé est en quelque sorte démoulé du corps de sa mère sous l’effet de la poussée physiologique.
Une femme qui se sent observée pendant un accouchement peut bloquer involontairement. Le respect de la pudeur et de l’intimité est fondamental. Le corps féminin a été complètement désacralisé. Les sages-femmes à une époque ont été brûlées comme sorcières. Après la religion, c’est maintenant la médecine qui vient étouffer le pouvoir féminin.

L’accouchement naturel à la maison est contaminé par un phénomène de mode et de performance. Quels en sont les enjeux ?

Malheureusement, on observe actuellement un phénomène qui consiste à vivre l’accouchement naturel comme une performance, qui peut aller jusque à être filmée et retransmise sur les réseaux sociaux. Avant, celles qui accouchaient avec les sages-femmes à la maison ou en maison de naissance avaient fait ce choix par conviction profonde, ancré dans un mode de vie consciente et proche de leur essence. Maintenant, il y a des femmes qui ne sont pas forcément convaincues ou préparées intérieurement, qui choisissent un accouchement naturel simplement parce que c’est accessible. Il en résulte souvent des accouchements compliqués qui se terminent par un transfert de dernière minute à l’hôpital. Lorsque le choix du mode d’accouchement n’est pas profondément senti, la femme n’a pas accès à ce qu’elle devrait faire pour son propre bien-être et celui de l’enfant, tout en croyant l’être. C’est très facile de se raconter des histoires. Certainement que tout le monde doit avoir le choix du lieux d’accouchement et de le planifier en conséquence. Cependant, si à la dernière minute, la femme change d’avis, elle devrait avoir la possibilité de le faire, plutôt que de s’enfermer dans son plan. L’accouchement est un processus instinctif. On ne peut pas le contrôler. On peut mettre en place un environnement qui va le favoriser, ou on peut lui nuire. C’est la seule certitude. On ne peut pas faire de gestion de l’accouchement, seulement de l’accompagnement.

Je pense à une phase en particulier que l’on appelle la phase de transition. En France, elle est communément appelée la phase de désespérance, pour vous donner une idée de son intensité. C’est là que les femmes deviennent très anxieuses et ne sont plus capables de tolérer la douleur. Énormément d’épidurales sont données dans les hôpitaux à ce moment-là. Alors que si l’on accompagne la femme et qu’on lui permet de verbaliser ce qu’elle vit tout en lui disant que c’est physiologiquement normal, l’instant d’après elle vit un lâcher-prise dans son corps, qui déclenche spontanément un réflexe de poussée. C’est un réflexe fabuleux qui consiste en des contractions puissantes, qui poussent le bébé vers la sortie, sans que la femme ait à faire le moindre effort. Le corps le fait tout seul. À l’hôpital, les femmes ne vivent jamais ça, parce qu’elles sont sous épidurale ou qu’on les fait pousser de façon volontaire avant-même d’atteindre la poussée réflexe.
La phase de transition est très méconnue, donc mal accompagnée. Cette expérience d’immense lâcher-prise transforme les femmes en vraies mères. Accompagner son bébé jusqu’au bord du gouffre et le dépasser est un formidable entraînement parce qu’en tant que parent, on sera souvent amené à dépasser ses limites. C’est une confiance dans le corps que l’on a rarement l’occasion de vivre. C’est effrayant de sentir les os de son bassin qui s’ouvrent. Un homme peut très difficilement accompagner sa femme quand elle crie «mon bassin va éclater». La folie actuelle c’est d’attendre des hommes qu’ils rassurent les femmes s’ils pensent qu’elles vont mourir. C’est pour ça que traditionnellement il y a toujours eu des femmes pour accompagner la naissance.
C’est également en vivant cette épreuve que se crée le lien particulier entre la mère et l’enfant ?
Oui, parce que le bébé se sent accompagné lorsque sa mère est totalement présente à ses sensations. Après mon second accouchement, j’ai travaillé à l’hôpital, en tant qu’infirmière en obstétrique. La première fois que j’ai assisté à un accouchement avec épidurale, la mère était tellement soulagée qu’elle se maquillait nonchalamment pendant que le mari préparait sa caméra. Ce qui m’est apparu immédiatement c’est que le bébé était tout seul. La femme était complètement déconnectée de son enfant. C’est justement à cela que sert la douleur de l’accouchement : elle oriente l’attention de la mère vers son bébé et son corps. Quand elle est à l’écoute, la douleur la guide.

La douleur servirait à attirer l’attention de la mère vers l’intérieur ?

Un des rôles de la douleur est d’inciter la mère à ajuster sa posture. Un bassin rigide et fixe ne permet pas le passage du bébé. Chaque fois que la mère modifie adéquatement sa posture pour favoriser la progression du travail, son corps sécrète des endorphines qui la soulagent. Les endorphines permettent de se relâcher complètement entre les contractions. Les femmes peuvent même somnoler alors qu’elles sont en phase active. Dans un accouchement naturel avec leurs propres hormones, elles ont les yeux fermés, absorbées par leur expérience interne avec l’enfant. Les femmes doivent savoir que même si elles ont une épidurale ou une césarienne, elles doivent rester connectées au bébé, sinon il se sent abandonné. Des enfants nés par césarienne vivent des difficultés relatives aux exigences de la vie des années durant. Si la naissance doit se faire par césarienne pour raison médicale, il faudrait tout de même attendre que le travail se déclenche spontanément plutôt que de programmer l’intervention au calendrier.

Comment éveiller les médecins à devenir de bons accoucheurs ?

Au Québec je suis maintenant sollicitée à donner des formations à des médecins. Je leur ré-explique les principes physiologiques de l’accouchement naturel. Les vétérinaires sont bien souvent plus respectueux   des principes fondamentaux comme le fait d’isoler la mère dans un environnement sécurisant, de ne pas toucher au petit pour ne pas perturber le lien olfactif avec la mère. Jusqu’à tout récemment, les petits humains étaient immédiatement lavés, éloignés de la mère, placés en pouponnière où ils pleuraient pendant des heures et y passaient toutes les nuits. Pourtant, le réflexe de ramper vers la mère, l’échange de regard et le contact direct sont fondamentaux dans la naissance du lien, dans les deux heures qui suivent la naissance. Le fait d’être séparés lors de ce moment crucial a certainement un impact négatif. C’est terriblement anxiogène. Au nom de la science, on a fait des horreurs dans les hôpitaux. On vend la sécurité aux femmes, mais c’est faux. Les complications et les risques liés aux interventions médicales sont plus élevés que les risques des accouchements naturels.
Il est tout à fait possible d’adapter les pratiques hospitalières aux besoins des femmes. Les infirmières et les médecins qui viennent suivre mes formations ont hâte à leur prochain accouchement pour mettre en pratique les outils que je leur transmets.

La préparation la plus importante est celle qui ramène à l’écoute de soi. J’encourage les femmes à pratiquer une approche corporelle comme le yoga, le qigong, la méditation, l’anti-gymnastique ou toute autre discipline qui les amène à l’écoute de leur corps et non du rationnel. Connaître son corps diminue la peur et donne confiance en ses propres ressources instinctives.
La connaissance de la physiologie de l’accouchement est également importante. Ensuite, de bien prévoir le lieu d’accouchement. Les possibilités dépendent des pays. Au Pays-Bas, les sages-femmes sont en première ligne et environ 30% des naissances ont lieu à domicile. Au Québec, à peine 2% des accouchements ont lieu en maisons de naissance ou à domicile. Il faut aussi que le père soit à l’aise avec le lieu d’accouchement, parce qu’un conjoint hyper-stressé risque de créer un climat insécurisant. D’où l’importance de l’accompagnement prénatal par une personne qui peut les rassurer tous les deux.
Il faut aussi savoir qu’il n’y a pas d’accouchement idéal : on a beau se préparer, on ignore ce qui va se passer à l’accouchement. C’est une source de difficulté pour les femmes qui veulent absolument accoucher de façon naturelle à la maison. S’il y a un imprévu qui les oblige à aller à l’hôpital, ou à accepter une intervention médicale, elles risquent de le vivre comme un échec parce que leur plan ne s’est pas déroulé selon leur volonté. Mettre un enfant au monde est un apprentissage de lâcher-prise par rapport à un idéal. Quand les parents ont intégré qu’ils vont accompagner leur enfant quoi qu’il se passe, cela transforme leur attitude.

Qu’en est-il de l’ocytocine synthétique ?

L’ocytocine chimique contracte l’utérus et accélère le travail. Mais elle ne peut pas activer les fonctions neurologiques, le lien d’attachement, l’allaitement, qui nécessitent les hormones naturelles. Quand j’ai invité Michel Odent à Montréal en 2011, il m’a dit qu’aujourd’hui en France, la plupart des femmes qui accouchent à l’hôpital reçoivent de l’ocytocine synthétique. C’est pareil au Québec. D’ici quelques années, peut-être qu’aucun enfant ne naîtra avec l’ocytocine de sa mère. Quand on connaît l’impact de cette hormone sur les liens d’attachement, on s’inquiète des conséquences sur la structure de nos sociétés.
Beaucoup de parents ignorent que les hormones de synthèse et les anesthésiques influencent le développement à long terme. Ils voient les interventions médicales comme un progrès qui permet de réduire la douleur. Une fois qu’ils comprennent l’importance des hormones naturelles, ils préfèrent respecter le rythme naturel de la naissance.
Aux débuts de l’obstétrique, on pensait que les interventions allaient sécuriser les accouchements. Finalement, on se rend compte que trop d’interventions augmentent les risques. Au Québec, le ministère de la santé recommande maintenant les accouchements physiologiques naturels, parce que les interventions médicales ont augmenté la morbidité. Sauf que la mauvaise information s’est tellement installée, que c’est difficile. Certaines infirmières n’ont jamais vu une femme accoucher sans épidurale. En Occident, vivre ce passage comme une initiation, ce n’est vraiment pas populaire. La croyance dominante, c’est que l’accouchement physiologique = douleur. C’est faux. J’ai vu des dizaines de femmes accoucher sans souffrir, grâce à leurs endorphines et au support des personnes présentes.

C’est ce qu’on appelle l’accouchement orgasmique ?

En effet, un certain nombre de femmes ont des orgasmes en accouchant. Grâce au taux d’endorphines sécrété, le passage du bébé peut se vivre d’une façon qui apporte du plaisir. Cela arrive le plus souvent dans les accouchements à la maison. Mais c’est tabou. Comme on répète tellement qu’un accouchement est douloureux, une femme qui a du plaisir n’ose par le dire la plupart du temps.
Une grande partie de la douleur est due au mauvais positionnement des femmes, au manque de mobilité et au stress. Mais quand on les amène dans un environnement sécurisant à se laisser aller complètement, cela se passe très bien. C’est comme pour la sexualité. Il s’agit de la même région du corps, des mêmes hormones, donc du même besoin de sécurité et d’intimité.
Le rapport entre l’accouchement et la sexualité est tel que des mémoire dormantes dans le corps sont réveillées à cause de l’hyperstimulation du bassin. Qu’en est-il des mémoires traumatiques ?
Idéalement, les personnes qui accompagnent l’accouchement devraient savoir si la mère a déjà vécu des violences sexuelles. Même si elles ont fait un travail psychothérapeutique, ces femmes violentées peuvent vivre un réveil de souffrance. Cela devrait être expliqué en prénatal, parce que beaucoup l’ignorent. Il faut distinguer la douleur de la souffrance. Un accompagnement adéquat permet de bien tolérer la douleur de l’accouchement. Quand cela devient de la souffrance, de la détresse, cela doit être soulagé. Il est possible qu’une femme soit incapable d’accoucher naturellement parce qu’elle a subi un viol ou de l’inceste. Elle risque de se désorganiser, de devenir vraiment souffrante. Si elle-même et les accompagnants n’ont pas été préparés, c’est certain qu’elle aura besoin d’épidurale. Il ne faut pas que l’accouchement soit synonyme de détresse, parce qu’il y aurait un impact négatif sur le lien d’attachement avec l’enfant.

Sachant que ces mémoires traumatiques se transmettent de façon transgénérationnelle, la douleur de l’accouchement pourrait-elle être en grande partie le réveil de mémoires inconscientes ?

J’en suis persuadée, pour avoir accompagné des femmes qui accouchent en étant juste dans l’instant présent. Cela peut être intense, mais serein. Donc toutes ces femmes qui hurlent en accouchant, qui décompensent, qui souffrent, de quoi témoignent-elles ? C’est ainsi qu’il y a des lignées de femmes qui accouchent par césarienne de mère en fille. J’ai accompagné une femme qui souhaitait un accouchement naturel, après un premier par césarienne. Autour de la vingt-cinquième semaine, elle s’est mise à avoir des douleurs atroces. Aux examens médicaux, tout était normal. Alors je me suis demandé si elle n’avait pas vécu un trauma sexuel. Elle me l’a confirmé, en disant que c’était réglé grâce à dix ans de thérapie. Pourtant, plus le temps avançait et plus c’était difficile. En sachant qu’elle n’aurait pas de césarienne, son corps hurlait. Ce fut une excellente chose que je sois au courant, parce que j’ai pris vraiment soin d’elle.

De quelle manière l’avez-vous accompagnée ?

D’abord elle a re-verbalisé son histoire pendant sa grossesse, elle a pleuré et elle a reçu des soins énergétiques, pour faire circuler cette histoire dans son corps. Pendant l’accouchement, elle a crié très fort et nous l’avons accompagnée dans une réassurance verbale et par un toucher sécurisant. Sachant qu’au moment du passage, ces mémoires douloureuses pouvaient être réveillées, elle a mieux accepté son ressenti.
Le stress peut être un facteur de ralentissement ou de blocage. Elle avait reconnu que si l’accouchement se prolongeait, elle accepterait une intervention de soulagement afin que l’expérience ne soit pas traumatique. Cette jeune femme a réussi à accoucher par elle-même, naturellement, et a vécu une magnifique guérison. C’était beau à voir. Beaucoup de femmes vont toucher à cette puissance de donner la vie. C’est devenu très marginal, pourtant c’est accessible grâce à un accouchement physiologique.
C’est ce que dénonce Marc Girard, dans son livre La brutalisation du corps des femmes … : la médecine peut couper les femmes de leur puissance et de leur pouvoir.
C’est aussi pour cela que j’ai intitulé mon livre: La maternité au féminin. Beaucoup m’ont dit que c’était un pléonasme. Mais non, dans la réalité, la maternité n’appartient plus aux femmes. La médicalisation de la grossesse et de l’accouchement est une attitude très masculine. Depuis des décennies, on dit aux femmes ce qu’elles doivent faire. Dans la position classique à l’hôpital, la femme est couchée sur le dos, le sacrum écrasé et on lui dit de pousser. Elle pousse tout : le bébé et ses organes, la vessie, son urètre, les tissus de son périnée. C’est inhumain de faire pousser une femme continuellement pendant des heures. Lorsque les femmes sont libres de leurs mouvements, elles vont la plupart du temps choisir une position dans laquelle elles sont suspendues par les bras ou soutenues par derrière. Ainsi, la gravité leur facilite la tâche. Comme le périnée flotte librement, quand il s’ouvre, le bébé est en quelque sorte démoulé du corps de sa mère sous l’effet de la poussée physiologique.
Une femme qui se sent observée pendant un accouchement peut bloquer involontairement. Le respect de la pudeur et de l’intimité est fondamental. Le corps féminin a été complètement désacralisé. Les sages-femmes à une époque ont été brûlées comme sorcières. Après la religion, c’est maintenant la médecine qui vient étouffer le pouvoir féminin.

L’accouchement naturel à la maison est contaminé par un phénomène de mode et de performance. Quels en sont les enjeux ?

Malheureusement, on observe actuellement un phénomène qui consiste à vivre l’accouchement naturel comme une performance, qui peut aller jusque à être filmée et retransmise sur les réseaux sociaux. Avant, celles qui accouchaient avec les sages-femmes à la maison ou en maison de naissance avaient fait ce choix par conviction profonde, ancré dans un mode de vie consciente et proche de leur essence. Maintenant, il y a des femmes qui ne sont pas forcément convaincues ou préparées intérieurement, qui choisissent un accouchement naturel simplement parce que c’est accessible. Il en résulte souvent des accouchements compliqués qui se terminent par un transfert de dernière minute à l’hôpital. Lorsque le choix du mode d’accouchement n’est pas profondément senti, la femme n’a pas accès à ce qu’elle devrait faire pour son propre bien-être et celui de l’enfant, tout en croyant l’être. C’est très facile de se raconter des histoires. Certainement que tout le monde doit avoir le choix du lieux d’accouchement et de le planifier en conséquence. Cependant, si à la dernière minute, la femme change d’avis, elle devrait avoir la possibilité de le faire, plutôt que de s’enfermer dans son plan. L’accouchement est un processus instinctif. On ne peut pas le contrôler. On peut mettre en place un environnement qui va le favoriser, ou on peut lui nuire. C’est la seule certitude. On ne peut pas faire de gestion de l’accouchement, seulement de l’accompagnement.
Je pense à une phase en particulier que l’on appelle la phase de transition. En France, elle est communément appelée la phase de désespérance, pour vous donner une idée de son intensité. C’est là que les femmes deviennent très anxieuses et ne sont plus capables de tolérer la douleur. Énormément d’épidurales sont données dans les hôpitaux à ce moment-là. Alors que si l’on accompagne la femme et qu’on lui permet de verbaliser ce qu’elle vit tout en lui disant que c’est physiologiquement normal, l’instant d’après elle vit un lâcher-prise dans son corps, qui déclenche spontanément un réflexe de poussée. C’est un réflexe fabuleux qui consiste en des contractions puissantes, qui poussent le bébé vers la sortie, sans que la femme ait à faire le moindre effort. Le corps le fait tout seul. À l’hôpital, les femmes ne vivent jamais ça, parce qu’elles sont sous épidurale ou qu’on les fait pousser de façon volontaire avant-même d’atteindre la poussée réflexe.
La phase de transition est très méconnue, donc mal accompagnée. Cette expérience d’immense lâcher-prise transforme les femmes en vraies mères. Accompagner son bébé jusqu’au bord du gouffre et le dépasser est un formidable entraînement parce qu’en tant que parent, on sera souvent amené à dépasser ses limites. C’est une confiance dans le corps que l’on a rarement l’occasion de vivre. C’est effrayant de sentir les os de son bassin qui s’ouvrent. Un homme peut très difficilement accompagner sa femme quand elle crie «mon bassin va éclater». La folie actuelle c’est d’attendre des hommes qu’ils rassurent les femmes s’ils pensent qu’elles vont mourir. C’est pour ça que traditionnellement il y a toujours eu des femmes pour accompagner la naissance.
C’est également en vivant cette épreuve que se crée le lien particulier entre la mère et l’enfant ?
Oui, parce que le bébé se sent accompagné lorsque sa mère est totalement présente à ses sensations. Après mon second accouchement, j’ai travaillé à l’hôpital, en tant qu’infirmière en obstétrique. La première fois que j’ai assisté à un accouchement avec épidurale, la mère était tellement soulagée qu’elle se maquillait nonchalamment pendant que le mari préparait sa caméra. Ce qui m’est apparu immédiatement c’est que le bébé était tout seul. La femme était complètement déconnectée de son enfant. C’est justement à cela que sert la douleur de l’accouchement : elle oriente l’attention de la mère vers son bébé et son corps. Quand elle est à l’écoute, la douleur la guide.

La douleur servirait à attirer l’attention de la mère vers l’intérieur ?

Un des rôles de la douleur est d’inciter la mère à ajuster sa posture. Un bassin rigide et fixe ne permet pas le passage du bébé. Chaque fois que la mère modifie adéquatement sa posture pour favoriser la progression du travail, son corps sécrète des endorphines qui la soulagent. Les endorphines permettent de se relâcher complètement entre les contractions. Les femmes peuvent même somnoler alors qu’elles sont en phase active. Dans un accouchement naturel avec leurs propres hormones, elles ont les yeux fermés, absorbées par leur expérience interne avec l’enfant. Les femmes doivent savoir que même si elles ont une épidurale ou une césarienne, elles doivent rester connectées au bébé, sinon il se sent abandonné. Des enfants nés par césarienne vivent des difficultés relatives aux exigences de la vie des années durant. Si la naissance doit se faire par césarienne pour raison médicale, il faudrait tout de même attendre que le travail se déclenche spontanément plutôt que de programmer l’intervention au calendrier.

Comment éveiller les médecins à devenir de bons accoucheurs ?

Au Québec je suis maintenant sollicitée à donner des formations à des médecins. Je leur ré-explique les principes physiologiques de l’accouchement naturel. Les vétérinaires sont bien souvent plus respectueux   des principes fondamentaux comme le fait d’isoler la mère dans un environnement sécurisant, de ne pas toucher au petit pour ne pas perturber le lien olfactif avec la mère. Jusqu’à tout récemment, les petits humains étaient immédiatement lavés, éloignés de la mère, placés en pouponnière où ils pleuraient pendant des heures et y passaient toutes les nuits. Pourtant, le réflexe de ramper vers la mère, l’échange de regard et le contact direct sont fondamentaux dans la naissance du lien, dans les deux heures qui suivent la naissance. Le fait d’être séparés lors de ce moment crucial a certainement un impact négatif. C’est terriblement anxiogène. Au nom de la science, on a fait des horreurs dans les hôpitaux. On vend la sécurité aux femmes, mais c’est faux. Les complications et les risques liés aux interventions médicales sont plus élevés que les risques des accouchements naturels.
Il est tout à fait possible d’adapter les pratiques hospitalières aux besoins des femmes. Les infirmières et les médecins qui viennent suivre mes formations ont hâte à leur prochain accouchement pour mettre en pratique les outils que je leur transmets.

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